Sauternes, Barsac, Cérons, Loupiac, Sainte-Croix-du-Mont, Cadillac... qui ne connaît les grands vins blancs doux de Bordeaux. Ce qu'on connaît beaucoup moins bien, c'est la façon dont les hommes en sont venus à produire ce type de vin. Et là, fi des belles histoires et des légendes édulcorées (c'est le cas de le dire !). Il semble bien que les grands vins liquoreux d'aujourd'hui doivent bien plus leur existence aux dons d'observation des anciens qu'à des concours de circonstances un peu théâtraux.

 

 

Une invention hollandaise

Ce sont les Hollandais, maîtres du commerce au XVIIe siècle, qui sont semble t-il à l'origine de la production de vins blancs doux en Bordelais. Tout comme d'ailleurs en Dordogne (Monbazillac) ou en Anjou (région du Layon). Ces vins se vendaient bien en Europe du Nord, régions sans vignes, dont les habitants n'étaient pas habitués aux vins acides ou aux piquettes qui faisaient le quotidien des contrées plus méridionales. Comment donc obtenir ces vins doux ? Le plus simple assurément, était d'y rajouter une substance édulcorante (miel ou sucre), pratique fort ancienne puisqu'elle était déjà largement utilisée dans l'Antiquité. Les Hollandais excellaient en la matière et étaient d'ailleurs considérés comme de grands "arrangeurs" de vins. A leur crédit, précisons tout de suite qu'ils n'étaient pas les seuls.

 

Les allumettes hollandaises 

Cette demande de vins doux devait peu à peu modifier les pratiques culturales des vignobles concernés, du moins ceux dont le climat se prêtait  à la production de raisins particulièrement riches en sucre. On se rendit compte ainsi que le raisin, après maturité se desséchait sur le pied et qu'on pouvait accélérer le phénomène en brisant la tige de la grappe. On comprit également sans difficulté quel parti on pouvait tirer du développement spontané de la pourriture qui touchait les grappes de certains cépages à l'automne, certaines années particulièrement clémentes (leur jus est en effet particulièrement sucré). Les Hollandais facilitèrent d'ailleurs ces mutations en apportant la technique qui permettait d'arrêter le phénomène de la fermentation et donc de conserver une partie de sucre résiduel dans le vin : le soufrage. Une pratique qui nécessitait des mèches appelées allumettes hollandaises. On sait en effet que le soufre tue les levures et les autres micro-organismes.

 

Des histoires identiques

L'avènement de cette nouvelle viticulture dans la région de Sauternes est cependant très peu connue dans le détail. On sait seulement que des vins doux étaient produits dès la fin du XVIIe siècle, mais selon quel procédé ? Les vins doux figuraient alors parmi les vins de Bordeaux les plus chers, mais ce n'était certainement pas à cette époque des grands crus issus de la pourriture noble. La révolution s'est sans doute opérée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et fut très certainement le fruit d'avancées empiriques et du hasard. Il est à cet égard tout à fait significatif qu'à Sauternes comme à Tokaj (en Hongrie) et en Rhénanie, autres patries de grands vins doux, les légendes sont à peu près semblables.

 

Un succès précoce

A chaque fois, un seigneur propriétaire de vignes, ici un comte de Lur Saluces -la famille possède le château d'Yquem depuis 1592- contraint de s'absenter pour affaires, demande à ses vignerons d'attendre son retour pour débuter les vendanges. Et de rentrer en retard, les raisins étant tout pourris. On vendange quand même et, oh miracle !, le vin produit est un nectar. Apprenant la délicieuse nouvelle, chacun s'efforce les années suivantes de reproduire ces circonstances exceptionnelles. Le succès est en tout cas au rendez-vous et au XIXe siècle la réputation des vins de Sauternes et de Barsac est solidement assise au sommet de la hiérarchie bordelaise. Le célèbre classement de 1855 en témoigne puisque ce secteur est le seul, avec le Médoc, à voir ses châteaux distingués : 21 en tout (27 actuellement), classés en plusieurs catégories.