Durant des siècles, Paris et la région parisienne ont compté parmi les régions viticoles les plus prospères de France. Et loin de s’étioler, les vignes n’ont cessé de gagner du terrain jusqu’au début du XIXème siècle ! La chute fut en revanche brutale et sans appel. Chronique d’un vignoble fossile.

 

Quand résonnait le marteau des tonneliers

L’idée qu’un vignoble important et, de surcroît, producteur de vins de qualité ait pu prospérer à Paris et en Région parisienne durant des siècles peut sembler incongru à nos esprits contemporains. Ni le relief et les sols, aujourd’hui noyés, nivelés, engloutis par la mer de béton, ni le climat en apparence si frais, humide, brumeux, ne semblent en effet correspondre à l’image que chacun se fait d’un riant coteau viticole. Et pourtant ! Il n’y a pas si longtemps, les rues de Suresnes, de Triel, d’Argenteuil résonnaient du marteau des tonneliers et des chants des vendangeurs. Et qui l’eut cru ! Il fut un temps où les vins de Paris s’exportaient, par la Seine et l’Oise, au delà des mers?

 

En 1820, Paris et sa région cultivaient près de 30 000 hectares de vignes”

Au début du XIXème siècle encore, le territoire des anciens départements de la Seine et de la Seine et Oise ne comptait pas moins de 27 000 hectares de vignes. Chiffre considérable ! 223 communes (sur 348) possèdaient plus de 5 hectares de vignes , une centaine plus de 50 hectares. La vigne était partout. Ce passé, ces traditions sont encore largement présents dans les noms de lieux. Les innombrables “rue des vignes” ou “rue du pressoir”, les statues de Saint-Vincent, patron des vignerons sont là pour nous le rappeler. Sans oublier les taillis ou forêts de châtaigniers si répandus dans la région, dont la présence se justifiait par la forte consommation d’échalas, ces piquets qui servaient de support aux ceps.

 

 

Déjà, dans l’Antiquité…

Le vignoble parisien est aussi vieux que la ville. Dès l’époque romaine, Lutèce cultivait ses propres ceps. L’empereur Julien () qui y séjourna longuement décrit des vignes “donnant de bons vins” et même des figuiers couvrant les pentes de la montagne Sainte Geneviève. Au Moyen-Age, comme partout ailleurs, ce sont les abbayes qui mènent la danse. Celle de Saint-Denis possèdait des vignes à Charonne, à Belleville et sur la colline de Montmartre ; ainsi qu’à Suresnes, Issy, Vanves et, un peu plus à l’Ouest, sur les coteaux bordant la Seine de Nanterre à Saint-Germain-en-Laye. Sa production est estimée selon les années entre 3 000 et 10 000 hectolitres : un pactole ! L’abbaye de Saint-Germain des Prés, plus modeste, était aussi implantée à Suresnes, paroisse dont les vins étaient fort réputés. La Couronne et la noblesse comptaient bien sûr également parmi les gros propriétaires ; tout comme les bourgeois de la capitale soucieux de participer à cette fructueuse culture.

 

 

Les Parisiens ont toujours su lever le coude

C’est que les vins de Paris se vendaient bien. Non seulement les Parisiens, qui ont toujours su lever le coude, fournissaient par le biais des tavernes, des débouchés massifs et assurés, mais les acheteurs “étrangers” se pressaient aussi au portillon. Les Normands notamment, dont le pays au climat trop frais interdisait la viticulture à grande échelle comptaient parmi les gros clients. Les vignerons de Poissy et de Triel-sur-Seine expédiaient même régulièrement leurs vins en Angleterre. Le commerce était tellement... juteux que les bourgeois parisiens obtinrent certains privilèges du roi Philippe le Bel comme l’interdiction faite aux marchands étrangers de décharger du vin à Paris : une mesure protectionniste qui n’est pas sans rappeler le Privilège de Bordeaux.

 

 

Vins paillets et clairets

A quoi ressemblaient-ils ces vins parisiens ? C’étaient essentiellement des vins blancs, paillets et clairets (rouge clair). Des vins légers -le climat présente quelques similitudes avec celui de la Champagne- mais non dépourvus de qualités. Le roi lui même, les préférait à tout autre. Parmi les cépages cultivés au Moyen-Age et au delà, il est fait mention du morillon (pinot), du fromenteau (pinot gris), du pinot meunier, du chardonnay, du meslier, mais également du gouais, un cépage rouge fort en couleur et grossier de goût qui faisait le bonheur les palais populaires. C’est ce dernier, associé au”gamet” (gros gamay) qui peu à peu, et surtout à partir des XVIIème et XVIIIème siècles, devait finir par s’imposer.

 

 

Le déclin du vignoble parisien

On touche là au “drame” de la viticulture parisienne et à la raison principale de sa disparition. Dopée par la croissance de Paris et l’amélioration du niveau de vie, la consommation de vins se généralisa. Le peuple demandait des vins ordinaires, bon marché et les vignerons répondirent à la demande. Les gelées de 1709, qui détruisirent complètement l’ancien vignoble, accélérèrent cette mutation. Le déclin qualitatif, même s’il se traduisit par un accroissement du vignoble, portait en lui des germes de fragilité. De faible rapport, handicapé par les sautes d’humeur d’un climat fantasque, il fut durement frappé par les maladies cryptogamiques, oïdium, mildiou, phylloxera.

 

 

Le coup de grâce

La concurrence des vins du Languedoc, rendue possible par la construction du réseau ferré, lui porta le coup de grâce dans la 2ème moitié du XIXème siècle. Trois secteurs résistèrent néanmoins plus longtemps que les autres : Argenteuil, la région de Triel-Chanteloup les Vignes, et Montmorency. Au début du XXème siècle pourtant, la messe était dite. En définitive, la mort du vignoble parisien ne doit que peu de choses à l’invasion urbaine. Avant même que celle-ci ne déferle sur les campagnes d’Ile de France, les vignes avaient déjà disparu. Pour n’avoir pas su, ou pas pu, maintenir comme en Champagne, un vignoble de qualité.