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Classement 2025 des Crus Bourgeois : la révision divise le Médoc
Par Camille Bernard – Photographs: courtesy of the estates, le 09 septembre 2024
La tension est palpable dans le monde des vins bordelais alors que le classement des Crus Bourgeois s'apprête à être mis à jour en 2025. Cette révision quinquennale, régie par l'Alliance des Crus Bourgeois, soulève des questions parmi les producteurs, les consommateurs, et les acteurs du marché. L’importance de cette classification, les avantages qu’elle procure, et les polémiques récentes sont autant de sujets à explorer pour mieux comprendre les enjeux de cette tradition viticole.
Dans le Médoc, l’Alliance des Crus Bourgeois tient une place particulière. Elle rassemble 30% de la production. Un chiffre qui, a priori, en dit long sur la conviction des vignerons du Médoc quant à la plus-value conférée par le classement.
Pourtant, alors que le syndicat semblait avoir atteint son rythme de croisière, la révision 2025 du classement s’annonce déjà mouvementée avec des rumeurs de désistements massifs et autres polémiques posant la question de la crédibilité des Crus Bourgeois.
Si la situation n’est pas sans rappeler celle provoquée par le classement de 2003, dont les conditions d’éligibilité punitives avaient provoqué le déclassement de plusieurs propriétés, elle semble surtout faire écho à celui de 2020 qui, en exemptant certains châteaux de dégustation, avait conduit à une rupture d’égalité de traitement entre les candidats et provoqué un tollé général. Tant et si bien qu’à tout juste un an de la révision quinquennale, nombreux sont ceux qui remettent en cause la crédibilité d’un tel classement. « Il y a aujourd'hui plus de bons Crus Bourgeois à l’extérieur du classement qu’à l’intérieur, le rendant illisible et non représentatif pour les distributeurs qui ne le reconnaissent plus », déplore François Nony, propriétaire du Château Caronne et du Château Labat.
François Nony, propriétaire du Château Caronne et du Château Labat
Les Crus Bourgeois : une tradition bordelaise
Les Crus Bourgeois sont une classification historique du vignoble médocain, regroupant des châteaux qui n'ont pas été inclus dans le classement des grands crus classés de 1855 mais qui produisent des vins de qualité supérieure. Si le premier classement ‘‘sérieux’’ des Crus Bourgeois a vu le jour en 1932, il a fallu attendre 1962 pour que l’Alliance des Crus Bourgeois soit créée. Aujourd'hui, le syndicat regroupe environ 250 châteaux, dont 180 Crus Bourgeois, 56 Crus Bourgeois Supérieurs et 14 Crus Bourgeois Exceptionnels.
Les rumeurs de désistements se confirment
Mais la perte de confiance est telle que les rumeurs d’un désistement massif vont bon train et tendent à se confirmer, même si l’Alliance tend à rester positive : « 20 % des surfaces qui ne se sont pas réinscrites, c’est très loin de l’érosion que l’on craignait », déclarait Franck Bijon, président de l’Alliance des Crus Bourgeois, en février dernier.
Dernier renoncement en date, le départ de château Lilian-Ladouys, pourtant promu au plus haut niveau de la sélection quinquennale de 2020, c’est-à-dire Cru Bourgeois Exceptionnel.
« Le classement 2020 a été publié au moment de la crise sanitaire et n’a pas pu faire ses preuves », tente de justifier Jennifer Mathieu, directrice de l’Alliance des Crus Bourgeois.
Les polémiques autour de la révision quinquennale s’amplifient
Sauf que si l’Alliance essuie encore les pots cassés de sa dernière révision, d’autres polémiques prennent à présent de l’ampleur autour de celle prévue en 2025. En cause, le renforcement des critères environnementaux et l’obligation pour tous les châteaux de soumettre leurs millésimes 2017 à 2022 à une dégustation à l’aveugle. « C’est à n’y rien comprendre », lâche une vigneronne souhaitant garder l’anonymat. Certifié HVE 3 (le plus haut niveau de certification Haute Valeur Environnementale ndlr), son domaine doit en effet - s’il souhaite se représenter au classement des Crus Bourgeois - redescendre au niveau 2 sous peine d’être déclassé.
Interrogée à ce sujet, Jennifer Mathieu explique : « Depuis le dernier classement de 2020, l’Alliance a remis le pied dans un classement hiérarchique cohérent, avec trois niveaux de classement que sont le Cru Bourgeois, le Cru Bourgeois Supérieur et le Cru Bourgeois Exceptionnel. Ainsi, les châteaux souhaitant obtenir la classification Cru Bourgeois ont l’obligation d’être certifiés HVE de niveau 2 et ceux qui candidatent aux mentions complémentaires doivent être certifiés HVE 3. »
Sauf que tout cela a un coût : 8000€ pour toute candidature et 4000€ de plus pour une candidature à une mention complémentaire. Sans parler des démarches administratives à accomplir pour obtenir le précieux sésame : « une véritable usine à gaz », se désole la même vigneronne anonyme.
Bien consciente de ces défis, Jennifer Mathieu rassure : « Nous sommes préoccupés par la question du montant de l’adhésion et c’est un point qui retient notre attention pour le classement 2030. Je souligne toutefois que ce montant couvre tous les frais techniques relatifs au suivi quinquennal de la propriété, durant lequel nous garantissons leur conformité à la qualité escomptée. »
Tous les châteaux doivent soumettre leurs millésimes 2017 à 2022 à une dégustation à l’aveugle
Un outil qualitatif qui doit monter en notoriété
La qualité, voilà encore une question qui divise dans le cercle des Crus Bourgeois. En cause, l’évolution des critères d’éligibilité pour inclure, notamment, les considérations environnementales évoquées plus haut. À partir de 2030, la certification HVE de niveau 3 sera cette fois-ci obligatoire pour tous les châteaux, et l’Alliance envisage d’intégrer des exigences supplémentaires pour répondre aux attentes sociétales croissantes en matière de durabilité. Jennifer Mathieu le rappelle : « L’objectif de l’Alliance est d’améliorer, défendre et promouvoir les intérêts des vignerons des Crus Bourgeois du Médoc. » Et Armelle Cruse, vice-présidente de l’Alliance, d’ajouter : « Ce classement oblige les propriétés à faire le point sur leurs ambitions. On a longtemps dit : “On ne naît pas Cru Bourgeois, on le devient”». Se projetant d’ores et déjà sur un classement resserré, l’Alliance défend « un outil qualitatif devant désormais monter en notoriété ».
Peut-on se passer du classement ?
Sauf que la ‘‘famille’’ des Crus Bourgeois, certains l’ont déjà quitté. François Nony fait partie de ceux-là. Il justifie : « Notre Caronne Ste Gemme reste l’une de nos meilleures ventes dans son segment en ces temps difficiles tout en n'étant plus Cru Bourgeois depuis 2011, tandis que Château Labat est Cru Bourgeois Supérieur jusqu’au millésime 2021 compris et ne profite en aucune façon de son statut. Depuis 18 mois, la crise est telle que ce sont les ventes qui désignent les stratégies gagnantes sur le plan individuel et pas, malheureusement, l’appartenance à un groupe. »
Un constat que ne partage pas Jianqi Wu, directeur général adjoint de Château Rousseau de Sipian, dont le vin est classé Cru Bourgeois depuis 2008. Il explique : « La mention Cru Bourgeois est un atout majeur sur les marchés internationaux, et notamment en Chine où l’essentiel de la production du domaine est exporté. La marque garantit aux consommateurs une qualité élevée de nos vins. »
Château Caronne Ste Gemme n’est plus Cru Bourgeois depuis 2011
Le vin de Château Rousseau de Sipian est classé Cru Bourgeois depuis 2008
Quel avenir pour les Crus Bourgeois ?
Entre le renforcement des critères d’éligibilité, les polémiques autour des précédents classements et le climat délétère pesant sur celui de 2025, l'Alliance doit relever de nombreux défis pour maintenir la crédibilité et l'attrait de sa marque. Si certains producteurs remettent en cause son utilité, Armelle Cruse, qui en plus d’être vice-présidente de l’Alliance des Crus Bourgeois est également propriétaire de Château du Taillan (Cru Bourgeois Exceptionnel), conteste : « L’Alliance est un gage de qualité et de crédibilité sur le marché national et international ». Face aux désistements avérés d’un certain nombre de propriété, elle rassure : « Nous sommes suffisamment nombreux pour que notre famille ait du sens et, dans un contexte difficile où nos vins ont plus que jamais besoin de se faire connaître, l’Alliance est une aide précieuse à la distribution ».
Consciente que l’avenir des Crus Bourgeois dépendra de la capacité de l’Alliance à s’adapter aux nouvelles exigences tout en conservant l’adhésion de ses membres, Jennifer Mathieu conclue : « Nous avons un projet ambitieux de communication pour 2025. » On n’a donc pas fini d’entendre parler des crus bourgeois.
Vice-présidente de l’Alliance, Armelle Cruse est aussi propriétaire de Château du Taillan
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