
Portrait
Alma de la Sierra : Le pari andalou de deux amis venus d’Italie
Par Sylvain Patard - Photographs: Gilbert & Gaillard, le 26 mai 2025
Ils sont deux mais ils ne font qu’un et cette courte phrase résume à peu près toute leur histoire. C’est aussi un peu l’explication du nom de leur domaine : Alma de la Sierra. Alma est l’association de la première syllabe de leurs deux prénoms : Alessio et Marco. Et alma c’est aussi l’âme en espagnol. Rencontre passionnante avec une paire d’humains comme on en croise peu.
Alessio Miconi vient du sud de l'Italie, entre Rome et Naples. Il a 44 ans et travaille dans le secteur du vin depuis 22 ans. « Et c'est ce que je fais depuis toujours » précise-t-il. Il a commencé sa carrière à 21 ou 22 ans, en travaillant comme expert, directeur ou gérant, pour des vignobles italiens. Il vient d'une famille de vignerons et il a toujours senti que c'était son héritage, que c’était dans son ADN. Le vin n'est pas seulement un métier, c'est une passion...
Marco Cimino est lui originaire de Calabre, Il a étudié le tourisme et a longtemps oeuvré dans ce secteur, notamment dans l'hôtellerie. Il a aussi créé un premier restaurant. Aujourd'hui, il est associé avec Alessio et tous deux en gèrent quatre dont cet hôtel perché dans la montagne de la Sierra Nevada. « L'Espagne a toujours été un pays qui m’attirait, j’y suis très bien » ajoute Marco.
Sa rencontre avec Alessio date de 10 ans lors d'une foire gastronomique. Il avait une usine de pâtes fraîches et il se déplaçait dans tout le pays à la recherche de clients. « Un jour j'ai rencontré Alessio sur le stand d'un de mes clients. Il était fournisseur de mon client et lui vendait du vin depuis longtemps. Je lui vendais des pâtes depuis toujours. C'est à ce moment-là que nous avons commencé à échanger, à parler de notre activité, c'était comme une fusion, une alchimie ». Une amitié inoxydable qui a naturellement débuté par la dégustation d’une bouteille de vin, suivie d’un déjeuner !
Marco est un grand buveur de vin, il l’adore. Mais il ne connaissait pas cet univers que Alessio lui a fait découvrir. Lui il voulait acheter un hôtel, et Alessio l’a accompagné. Puis il est revenu. C'était la deuxième fois qu'il venait. Et les deux amis sont allés de bodega en bodega, jusqu’à celle-ci (Alma de la sierra), qui était fermée. Il n’en fallait pas plus pour déchaîner la curiosité d’Alessio. Il était déjà tombé amoureux de ce territoire qui correspondait à l’un de ses principaux objectifs : trouver des vignobles de haute altitude. « J'étais obsédé par la recherche de vignobles situés au-delà de la zone des 700 mètres d'altitude. Parce que c’est à 700 m et plus que l'environnement commence à se purifier. Il l'a vu rapidement et il s’est déjà projeté sur le long terme dans l’optique du réchauffement climatique en marche. « Tu as vu aujourd'hui la vigne » me dit-il, « tu ne vois aucun insecte dessus, zéro, même pas des mouches, rien, tu sais ».
Encore faut-il trouver l’identité du potentiel vendeur. C’est le père d’Alessio venu donner un coup de main qui va démêler la situation : « Attends, je vais appeler le maire du village ». Quelques temps plus tard : « le maire te reçoit dans son bureau et il sait qui vend les vignobles ».
Les barriques Demptos, tonnellerie bordelaise réputée.
L’entrée très champêtre de la Bodega.
Hôtelier puis vigneron
La première étape avait été l'hôtel, maintenant les deux amis devenaient propriétaires terriens. Et ils avaient un atout majeur par rapport aux bodegas locales qui peinaient à vendre leur vin : Alessio avait déjà voyagé dans le monde entier et il avait des contacts partout. « Le contact, c'est l'amitié, c'est comme ça qu'on fait des affaires » avance-t-il. « Tu peux faire du très bon vin, mais si tu n’as pas de ventes ! C'est ce qui s’est passé pour les 10 bodegas d'ici, qui ne seront bientôt plus que 4. Elles ferment parce qu'elles ont peu de ventes. Le vignoble local est délaissé, 40 % du vignoble est comme ça, abandonné ».
Marco surenchérit : « Alessio a compris tout de suite ce territoire. Je pense, comme lui, que c'est un endroit unique, en Espagne et même dans le monde entier. Bien peu de gens connaissent une appellation de cette région (IGP Laujar – Alpujarra), quasiment personne. Pour le moment ! »
En fait les deux compères étaient aussi et surtout à un moment de leur vie où ils avaient besoin d’un changement radical. Cet endroit, cette région, sont devenus leur raison d'être, ils y ont déniché leur propre petit coin de paradis, la beauté, le silence, un beau vide.
Lorsqu’on leur demande s’ils ont trouvé ici tout ce qu’ils s’attendaient à y trouver, la réponse fuse immédiatement, Alessio s’empare du sujet : « Honnêtement, j'ai trouvé bien plus que ce à quoi je m'attendais » confie-t-il. « Car ce que j'ai découvert que je ne soupçonnais pas, ce sont les gens, les personnes que nous rencontrons tous les jours, les voisins. Tout le monde est très accueillant. Et nous ne partageons rien avec personne, donc nous ne devons rien à personne, donc personne ne nous doit rien. C’est différent de l’Italie, c'est différent de n'importe où. On se croirait revenu dans les années 1950. Il y a un sens de la communauté et du contact humain qui me manquait. Qui nous manquait depuis longtemps ». Marco acquiesce.
Des vins qui ont une âme
Les âmes communiquent entre elles. C’est en tout point la philosophie de la bodega, ce thème de l'Alma, c'est un mot important en Espagne. C'est un mot important dans le monde entier. C'est une notion qui s'inscrit parfaitement dans leur approche de la vinification. Faire des vins naturels qui eux aussi aient une âme et qui soient en lien avec leur environnement, leur territoire. Que ce soit “Mi primer hero” en rouge, “Por dos Sangres: Uno” en blanc ou “El Amor de mi Vida” en version rosé, tous émettent cette vibration très saine, ce sentiment de plénitude.
Comme pour valider définitivement tout cela, Alessio et Marco nous racontent une ultime anecdote : « Nous avons un client en Inde à qui nous voulions vendre du vin. Lorsque nous lui avons dit qu’il provenait d'Almería, dans les Alpujarras, Alma de la Sierra, il nous a dit : « Pffffff, j'achète tout. En fait, il y a ici le premier temple bouddhiste européen, que nous ne connaissions pas, le plus grand temple d'Europe. C'est incroyable, c'est ici dans la Sierra, à 30 km. Nous lui avons envoyé le vin, mais il a dit « J'achète le vin sans le goûter parce que je savais qu'il était bon avant de l'ouvrir ». Tu sais c’est cette sensation tellement agréable que l’on appelle l’alignement des planètes. Tout se met en place, s’harmonise et fonctionne parfaitement et une personne qui se trouve à l’autre bout du monde trouve une connexion avec tes vins sans aucune intervention de ta part ».
La boucle est bouclée en somme, toute cette énergie qu’ils ont voulu insuffler dans leur production a définitivement pris vie au travers de cette magnifique histoire, comme une juste récompense des efforts consentis depuis le début de leur aventure. Le vin permet quelquefois ce genre de dénouement et il prouve surtout une fois de plus qu’il est un formidable vecteur de communication entre les hommes… et les âmes !
Une même passion unit ces deux amis de toujours.