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Par Jean-Paul Burias – Photographs: courtesy fo the estates, le 19 mai 2025
Dans l’ombre des rosés et pourtant globalement élaborée avec les mêmes cépages, la production de vins rouges reste minoritaire en Provence. Très attractifs, ils expriment toujours l’identité d’un terroir et l’expertise de vignerons qui s’attachent à les valoriser pour le plus grand plaisir des acheteurs…
Le constat est aussi irréfutable qu’injuste. Connus et réputés dans le monde entier, les rosés de Provence règnent en maitre sur les trois couleurs. Pourtant, puissants et tanniques, les rouges de Provence présentent bien des atouts avec leur robe d'un pourpre sombre, leur fruité et leur caractère charpenté. Assis sur des massifs cristallins anciens, rocheux et durs, le vignoble vit en harmonie avec le climat méditerranéen et un encépagement varié. Les trois appellations d’origine protégées (AOP), Côtes-de-Provence, Coteaux d’Aix-en-Provence et Coteaux Varois-en-Provence, produisent 89% de rosés, 6% de blancs et seulement 5% de rouges. « Les viticulteurs de la région se sont spécialisés sur les rosés depuis des dizaines d’années, en lien avec l’histoire, la culture du territoire et l’évolution d’un savoir-faire dédié, constate Brice Eymard, directeur du Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence (CIVP). Depuis quelques années, la tendance du marché, en particulier en France, a entrainé une croissance de la demande de rosés et à l’inverse une baisse pour les rouges. » Cette situation ne doit pas occulter la qualité de rouges remarquables. Malgré des volumes limités, chaque vigneron insuffle sa singularité dans l’élaboration, en variant les assemblages et les techniques d’élevage. Alors si la clientèle est essentiellement française avec seulement 3% d’export, les rouges de Provence ont tout pour être découverts et appréciés.
Le château d’Ollières.
Au sein de la Provence verte, le Château d'Ollières rayonne par la qualité de ses vins et notamment de ses rouges. Cette ancienne seigneurie bénéficie d’un climat méditerranéen associé aux amplitudes thermiques importantes entre le jour et la nuit en été. Depuis 2003, elle est conduite par Hubert Rouy et son fils Charles. Ce duo a restructuré l’exploitation et doté la cave de chais modernes, avec pour les rouges, trois composantes principales, le grenache, la syrah et le cabernet sauvignon. « Le rosé est une part essentielle de notre identité, mais les rouges le sont tout autant, estime explique Charles Rouy. « Ils se caractérisent par beaucoup de finesse et de fraicheur ». Les terres argilo-calcaires révèlent des structures tanniques complexes et élégantes avec une vinification qui exprime au mieux le terroir. « Le marché encore réduit des rouges de Provence s’explique certainement par une méconnaissance du grand public sur leurs qualités », détaille Charles Rouy. « Les grands opérateurs en France et à l’export se focalisent sur le rosé, car il correspond aux demandes de leurs clients. Mais nous trouvons dans notre région des rouges de grande qualité à des tarifs très abordables ».
Charles Rouy, propriétaire du Château d'Ollières.
Phanette Double devant le Château de Beaupré.
La saga de cette institution provençale commence en 1855. Émile Double de Beaupré fait l’acquisition d’un domaine des Coteaux d’Aix-en-Provence. L’activité viticole se développe jusqu’à prendre un virage décisif en 1971, avec l’arrivée de Christian Double et de son épouse Marie-Jeanne, puis en 2003 de leur fille Phanette Double qui, en 2013 convertit le Château de Beaupré à l'agriculture biologique. « Il nous tient à cœur de valoriser les rouges de Provence », analyse-t-elle. « Nous proposons au total sept rouges ce qui assure des profils différents et complémentaires. L’attractivité et la demande sont en augmentation. Les clients ne sont pas réticents à la découverte ou à la modification de leur consommation ». Les rouges se démarquent par leur caractère, un fruit omniprésent et des notes qui peuvent aller sur les épices. En 2023, une nouvelle gamme de quatre rouges a vu le jour, Façon Phanette. « J’ai voulu m’essayer à de nouveaux horizons avec nos cépages », explique Phanette Double. « Un premier est élaboré à partir de vieilles vignes de carignan, un deuxième avec du cinsault en mono-cépage, le troisième est un duo syrah grenache et le quatrième un assemblage syrah merlot avec du caractère et une belle extraction de matière ». Résultat, les rosés ne font pas d’ombre aux rouges avec 40% des ventes pour chacun et 20% pour les blancs.
Phanette Double dans ses vignes avec son chien.
Le Château de Crémat construit en 1906.
Au cœur du vignoble confidentiel de Bellet s’élève le Château de Crémat. Ce bijou architectural qui domine la ville de Nice est aussi depuis l’époque romaine un lieu de viticulture entre mer et montagne. Ses 12 hectares ont été repris en 2017 par une famille d’industriels français qui se passionne pour les vignobles et une région baignée de soleil 286 jours an. « Nos rouges sont issus principalement du cépage fuella nera (la folle noire), qui donne du croquant avec de belles acidités et un bon potentiel de garde, note Henri Binoche, directeur des ventes. Ils représentent un tiers de notre production, à l’égal des blancs et des rosés ». En effet, les rouges de Provence sur des appellations comme Bandol ou Bellet possèdent de nombreux atouts, notamment leur singularité avec l’utilisation de cépages dominants à maturité tardive. « Il faut peut-être accepter pour le rouge d’être une niche », reprend Henri Binoche. « On constate toutefois un regain d’attractivité. C’est la couleur où nous avons le mieux performé à l’export en 2024, notamment en Asie ».
Illuminations au Château de Crémat.
L'équipe du Domaine de Toasc.
Autre pépite des Alpes-Maritimes, idéalement située sur les hauteurs de Nice, près des rivages de la mythique Baie des Anges, le Domaine de Toasc est un véritable trésor viticole niché dans le terroir du Bellet. Dans ce paysage enchanteur, les rouges en IGP Alpes-Maritimes (pour les deux derniers millésimes) et en AOP Bellet sont élaborés majoritairement à partir de cépages typiques de l'appellation, comme la fuella nera et le braquet. « Nos rouges sont traditionnellement fruités, fins et élégants », analyse Emmanuel Da Rocha, responsable de vente du caveau. La commercialisation minoritaire des rouges de Provence reste un mystère alors qu’ils présentent un fort potentiel de vieillissement. La Provence est vue comme une terre de rosés et les clients pensent rarement trouver de grands rouges. « Nos clients sont souvent surpris par la qualité et l’originalité de nos rouges qui restent avant tout un secteur de niche et de découverte ». La demande tend à se développer avec un atout majeur très tendance qui est de valoriser leur rareté et leurs cépages autochtones.
Alain Vallès, maitre de chai du Château de Crémat et du Domaine Toasc.
Jean Pierre Margan à la tête du Château La Canorgue.
Construit sur une ancienne villa romaine, le Château La Canorgue constitue un lieu de visite privilégié dans le Parc Naturel du Luberon. Riche d’une histoire de plus deux siècles, cette propriété familiale a bénéficié du travail de Martine et Jean-Pierre Margan, pionniers de l'agriculture biologique au début des années 1970. Ce couple a transmis sa passion et son expérience à leur fille Nathalie Margan, cinquième génération, qui a réalisé son premier millésime en 2000. « Nous produisons plusieurs rouges, comme les Vendanges de Nathalie, un assemblage syrah et grenache très fruité et gourmand, aux tannins souples. Mais aussi La Canorgue Prestige, plus structuré, porté par le trio syrah, cabernet, merlot ». Les rouges représentent 50% des ventes dont un tiers à l’export. « Ces beaux vins de garde s'apprécient aussi jeunes grâce à des tannins tout en finesse », reprend Nathalie Margan. « Entre élégance, fruit et rondeur, ils offrent de beaux accords avec de nombreux mets et peuvent être dégustés sans attendre ».
Nathalie, cinquième génération du Château La Canorgue.
Gérald Damidot, directeur d’exploitation montre le Château Val d’Arenc.
Parmi les grands noms de Provence, le Château Val d’Arenc décline un savoir-faire haut de gamme. Au terme d’un tortueux chemin à travers la campagne de Bandol, ses 25 hectares de vignes apparaissent, répartis en plusieurs niveaux de restanques, des petits murets de pierre qui retiennent la terre et les ceps. « Depuis dix ans nous axons notre développement sur les rouges avec 55 % de nos volumes », analyse Gérald Damidot, directeur d’exploitation. « Ils possèdent une vraie valeur dans les aspirations des consommateurs ». Une des particularités du domaine est un travail à contrecourant du classicisme de cuvées puissantes et rustiques. « Nous travaillons sur la fraicheur et la finesse avec des degrés d’alcool maitrisés et des tanins fins et fondus », rajoute Gérald Damidot. « L’objectif est d’apporter une grande buvabilité dans la jeunesse avec une recherche de plaisir instantané tout en ayant un potentiel de garde d’une dizaine d’années et plus ».
Le Domaine des Bergeries de Haute Provence.
À 600 mètres d’altitude, entre le massif du Luberon et les gorges du Verdon, le Domaine des Bergeries de Haute-Provence s’impose comme un des plus beaux sites d’œnotourisme de la région. A sa tête, Jean-Luc Monteil et Éloïse Massot ont réalisé leur premier millésime en 2020. En culture biologique et biodynamique, les vendanges sont effectuées intégralement à la main, avec onze cépages différents. « Les rouges représentent une part de 40% cette année contre moins de 20% pour les rosés, souligne Jean-Luc Monteil. Le rosé était tellement facile à vendre dans le passé que peu de vignerons on fait l’effort de passer aux rouges avec des élevages plus longs. Cependant, leur excellence et leur tempérament affirmé commencent à trouver leur place chez les distributeurs en quête de nouveautés ». Les deux propriétaires ont fait le choix de l’ouverture en plantant du nebbiolo et du barbera, deux cépages emblématiques du Piémont italien, une proposition très appréciée des clients. « Malgré un déficit de notoriété à l’étranger, on constate un regain d’attractivité et de demande pour les rouges de Provence », rappelle Éloïse Massot. « Nos faibles disponibilités en sont la preuve ».
Jean-Luc Monteil et Éloïse Massot devant une barrique.
Alain et Ghislaine Sarran propriétaires récoltants.
Dans un saisissant panorama de collines et d’oliveraies perchées entre la mer Méditerranée et la montagne, Alain Sarran et son épouse Ghislaine ont fait depuis 2018 des deux hectares de vignes de La Bastide des Terres Blanches, un haut lieu des rouges de Provence. « Avec 95% de syrah et 5% de cabernet sauvignon, ils sont commercialisés trois ans après la récolte, après avoir passé un an en cuve, un an en barrique et un an en bouteille », détaille Alain Sarran. « Notre production est équivalente aujourd’hui à celle des rosés, avec même une proportion en augmentation ». Issus de l’agriculture biologique, les rouges se démarquent par une forte personnalité, avec une alternative gustative et économique très intéressante pour les amateurs. « Leur attractivité est toujours présente », ajoute Alain Sarran. « Il ne dépend que de nous de la faire croitre par des réponses qualitatives à la demande ».
L'équipe des vendangeurs au domaine lors du repas de fin des vendanges.
Les rouges ont la cote
L’opportunité pour l’amateur de découvrir une palette étendue de terroirs et de climats reste un atout important pour la production de rouges qui ont besoin de ce support concret gage d’une certaine garde. Les rouges de Provence sont élaborés à partir de cépages de caractère au potentiel fruité très important mais aussi dotés de tanins favorisant une certaine évolution. Une part grandissante de consommateurs est curieuse de déguster ce type de cuvées avec un profil aromatique étendu, plus faciles à consommer toute l’année. L’attractivité pour cette famille de produit est ainsi en augmentation et augmente mécaniquement la demande. Une bonne nouvelle en cette période où la consommation est en berne, notamment celle des rouges
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