Terroirs

Bourgogne Village : le terroir abordable

N’y aurait-il en Bourgogne que des monstres sacrés, Chambertin, Montrachet et autre Corton ? Des vins ruineux réservés à quelque élite et qui plus est totalement introuvables ? Ou aux mieux des 1er Crus de Meursault ou de Gevrey Chambertin guère plus abordables ? Non ! Le niveau des appellations « Village », parfois aussi nommé « communal » est la réponse à celui qui veut boire très bon, sans se ruiner. Et si vous êtes prêts à chercher un peu – les volumes sont faibles – parfois même à prix vraiment abordable. Plongée parmi des classiques pour connaisseurs éclairés, et pépites pour geeks farfouilleurs.

Un arc-en-ciel sur la montagne près du Domaine Garaudet

Un arc-en-ciel sur la montagne près du Domaine Garaudet.

 

 

En Bourgogne les vins prennent le même nom que le lieu d’où proviennent leurs raisins. Plus les lieux sont étendus, et plus générique est la typicité des vins. Plus ils sont restreints, et plus le style est précis et particulier, et ces vins seront alors souvent les plus recherchés.

 

Comprendre la « pyramide » bourguignonne

On représente usuellement la classification des appellations selon une pyramide. La base en est la région viticole toute entière, appellation « Bourgogne » ; c’est donc le niveau régional. Au sommet, se trouvent les Grands Crus, les vins plus chers. Ils portent généralement le nom de la parcelle concernée, par exemple « Clos de Vougeot ». Enfin, au centre, sont les appellations village. C’est l’échelle géographique la plus courante, correspondant à ce qui se pratiquait le plus souvent dans les fermes, avec un rayon d’action pour l’Homme et le cheval. Certaines appellations sont employées depuis longtemps et prestigieuses, comme « Volnay » ou « Nuits Saint Georges ». D’autres, qui étaient englobées dans un niveau intermédiaire entre le régional et village, ont « gagné leur indépendance », suite à des travaux prouvant leur typicité propre, par exemple « Ladoix ».

 

Différents types de « village »

Au sein d’une appellation village, deux stratégies de vinification sont possibles. Soit on assemble les vins fait de raisins provenant de plusieurs parcelles de la commune, auquel cas le vin porte simplement le nom du village, exemple : « Chablis ». On parle parfois de « cuvée ronde ». Soit les raisins ne proviennent que d’une seule parcelle – on parle en Bourgogne de « climat » - et alors on peut préciser le nom de la parcelle, après celui du village ; « Chablis Milly ».

 

Certains rares climats sont notoirement beaucoup plus qualitatifs que d’autres, mais sans atteindre pour autant la perfection des Grands Crus.  Ils permettent de réaliser des vins d’appellation « 1er Cru ». Ces climats portent toujours le nom du village, mais c’est surtout le caractère 1er Cru qui est alors mis en avant sur l’étiquette. Par exemple « Chablis 1er Cru Côte de Léchet ». Nous ne les aborderons pas ici.

 

Notons enfin que le qualificatif de « Grand Vin de Bourgogne » s’applique à tous les vins provenant de Bourgogne, niveau village inclus. Il n’est donc pas un élément de la pyramide des appellations, mais simplement un signe d’appartenance à la région.

 

Les Darles dans leurs vignes devant Irancy

Les Darles dans leurs vignes devant Irancy.

 

 

Irancy : Domaine Eric Darles, des vins personnalisés

Au nord de la Bourgogne, à l’ouest du Chablisien, terre de vin blanc réputé, se trouve le magnifique village médiéval d’Irancy, où l’on produit exclusivement du vin rouge sur 190 ha. L’argilo-calcaire y est un peu plus rouge. C’est là qu’Eric a repris en 1995 un domaine, hérité de son père, et qu’il travaille avec son épouse Christine. La famille Darles fait de l’Irancy depuis de nombreuses générations. Le domaine compte aujourd’hui 12 hectares.

 

Pour Eric, l’Irancy représente environ les 2/3 de sa production. Il rappelle qu’une des particularités de ce vin, est qu’il peut contenir de 5 à 10% de cépage césar, complanté dans des champs de pinot noir. Or, ces vignes vigoureuses et difficiles à travailler, donnent des raisins colorés très tanniques, que lui apprécie dans ses vins. Cela donne une typicité encore plus marquée, et lui aime la garde supplémentaire que ces raisins procurent. L’idéal serait de pouvoir déguster ses Irancy autour d’une dizaine d’années. Il stocke d’ailleurs quelques bouteilles pour pouvoir proposer d’anciens millésimes. Et malgré le succès, Eric propose encore ainsi quelques millésimes comme 2019. Si sa typicité explique qu’il soit plus cher qu’un Bourgogne régional - vendu autour de 8€ - l’Irancy reste un vin très abordable - autour de 13€ TTC la bouteille.

 

Malgré sa position septentrionale, le changement climatique affecte aussi le village. Eric remarque que les vins deviennent plus concentrés et plus puissants, même s’ils restent dans les critères de base. Ainsi en bouche, le millésime 2020 rappelle plus les fruits noirs que les fruits rouges. Mais Les Darles proposent aussi des Irancy parcellaires, présentant des notes de framboises et d’épices et aux tannins fins.

 

La cave des Darles

La cave des Darles.

 

 

Domaine Aegerter : toute la Bourgogne

Situé à Nuits-Saint-Georges, le domaine compte 15 hectares en propriété, sur 50 vinifiés et élevés au total, l’activité de négoce étant basée sur des contrats d’approvisionnement de raisins. Paul, le patron vigneron est maintenant seul à la tête de l’entreprise familiale. Proposant des vins sur l’ensemble de la Bourgogne, sa perception du niveau « village » est particulièrement pertinente. D’abord, il rappelle que ce niveau présente une forte diversité de prix, allant d’une quinzaine d’euros pour un Mâcon village, à 90-100€ pour un Meursault ou un Puligny-Montrachet.

 

La distribution des Aegerter est originale en Bourgogne dans la mesure où l’export ne représente que 20%, le marché français montant à 50% et les compagnies aériennes achetant les 30% restant. Les Français achètent généralement plus les Chablis, Mâcon, Chorey, Maranges… quand l’Etranger importe les Nuits-Saint-Georges, Vosne Romanée et Puligny-Montrachet. Ensuite Paul rappelle que tous ces vins sont de plus en plus rares, et particulièrement les derniers millésimes qui ont produit peu de volume. Or, si de nouvelles appellations villages ont pu être crées comme « Vézelay », c’est exceptionnel. Dans l’ensemble les appellations sont immuables. Trouver de nouveaux fermages est quasiment impossible, a fortiori pour les villages célèbres où depuis quelques années certaines grosses fortunes sont maintenant investisseuses.

 

Les cuvées doivent donc être de plus en plus souvent commercialisées sous forme d’allocations restreintes, afin de pouvoir servir tout le monde. Et si les prix ont augmenté, ils sont restés raisonnables et cela ne compense pas les volumes plus faibles. Le patron vigneron croit donc plus au développement des Hautes Cotes de Nuits, et de Beaune, des appellations régionales, mais où le terroir permet de faire des vins qui progressent, avec parfois des cuvées parcellaires. C’est là qu’on peut de plus en plus trouver du Bourgogne de qualité, à moins de 30€.

 

Au Domaine Aegerter, le patron goûte les vins

Au Domaine Aegerter, le patron goûte les vins.

 

 

Domaine Pansiot : une kirielle d’appellations

Ce domaine familial est situé à Corgoloin, dans le sud de la Côte de Nuits. Il compte aujourd’hui 21 hectares, et c’est Emilie qui l’a repris depuis 2004. Si en appellation village, elle produit par exemple du Meursault autour de 29€ par bouteille, Emilie propose aussi des appellations moins célèbres telle que Chorey-Les-Beaune, qui est presque deux fois moins cher. Le rouge est fruité, gourmand, et facile à boire jeune, car la vigneronne aime le côté fruit. C’est en effet Emilie qui fait les vins au chai : elle vinifie, élève et commercialise. Et elle est aussi parfois à la vigne, quand elle a le temps !  Mais il y a aussi un Chorey-Les-Beaune blanc. Ce vin un peu minéral, qui est élevé 2 à 3 mois en fût, présente un peu le gras du meursault, en quantité moindre.

 

Son vin rouge en appellation Beaune, le « clos des mariages » - une parcelle unique effectivement ceinte d’un mur - est assez tendre car le sol sableux n’y retient pas l’eau. C’est d’ailleurs la parcelle qui est toujours vendangée en premier.

 

Emilie Pansiot dans son chai

Emilie Pansiot dans son chai.

 

 

Les côtes de nuits forment le cœur du domaine. Les vins sont soit un assemblage de parcelles – un Côte-de-Nuits-villages – soit parcellaire. Ainsi « Les Chantemerles » est la cuvée rouge d’origine du domaine Pansiot. Une approche parcellaire y est cohérente, car il s’étend sur des géologies différentes, ce qui donne au vin son équilibre.

Le domaine exporte très peu, seulement 1% de sa production. Emilie vend via des négociants, des cavistes, et de plus en plus de particuliers. Pour les amateurs de visite : il y a en permanence quelqu’un au domaine et elle vous recevra sur rendez-vous, le samedi.

 

Les Chantemerles au Domaine Pansiot

Les Chantemerles au Domaine Pansiot.

 

 

Domaine Garaudet : des Monthélie à l’ancienne

Florent, le vigneron du domaine depuis 2020, représente la 5e génération. Aujourd’hui l’exploitation située à Monthélie, compte 11,5 hectares. 60% sont plantés en pinot noir, sur la commune de Monthélie, et le reste est essentiellement du chardonnay à Meursault et Puligny. Son père donne encore un coup de main, et il y a un salarié, mais il va falloir embaucher !

 

Florent Garaudet

Florent Garaudet.

 

 

Monthélie, rappelle Florent, compte 160 ha et est la plus petite appellation de la Côte-de-Beaune, coincé entre Meursault et Volnay. D’ailleurs, avant 1937, les vins essentiellement rouges, étaient vendus sous les appellations Volnay ou Pommard, ce qui explique le déficit de notoriété de Monthélie. Et donc, c’est « la finesse du Volnay et la puissance du Pommard » précise Florent Garaudet

 

Le village de Monthélie

Le village de Monthélie.

 

 

Lui fait des vins « à la bourguignonne », c’est-à-dire taillés pour la garde. Ils sont non collés et non filtrés. Le vin est fruité avec un bel équilibre, à boire à peu près dans les 8 années. D’habitude il propose d’ailleurs au moins 3 millésimes différents. C’est bien d’avoir un peu de stock sur le vin rouge, afin de proposer de la diversité, explique-t-il. Pourtant les Américains veulent souvent le dernier millésime, sourit-il ! Pour une bouteille, comptez de 30 à 35€. En revanche, ses vins blancs partent tout de suite, les appellations sont prestigieuses. 70% de son volume part à l’export. Il préfère traiter avec un importateur par pays, essentiellement les USA, Japon, Chine, mais aussi UK, Brésil, Singapour…         

 

Florent Garaudet et sa fille Méline

Florent Garaudet et sa fille Méline.

 

 

Domaine Bourgogne-Devaux : un pommard très atypique

Les Bourgogne - quel joli patronyme ! – sont deux frères vignerons atypiques. Leur domaine à Meloisey compte 4,1 hectares et tous deux sont doubles actifs. Luc, 38 ans, est également banquier, tandis que son frère Fabrice, 41 ans, est aussi vigneron aux Hospices de Beaune. Le père aide parfois un peu, et ils commercialisent 30 000 bouteilles. La cuverie est petite !

 

En appellation Pommard, ils font deux cuvées, dont une nommée « Vignot » provenant d’un sol très caillouteux orienté plein sud, qui leur fait plus penser à un Volnay. Le prix des bouteilles tourne autour de 35€. La notoriété de l’appellation fait que les vins sont vite demandés, notamment par les Américains. Les deux frères essaient donc de répartir l’offre au mieux. Luc aime déguster ces vins après 3 à 5 années, quand ils commencent à présenter des arômes de sous-bois et de gibier.

 

Ils produisent aussi du Haute-Côte-de-Beaune rouge, une appellation certes non communale, mais semi régionale. Particularité du domaine Bourgogne-Devaux, certaines parcelles sont physiquement proches de celles de pommard. Tout est donc vinifié en parcellaire, 6 cuvées distinctes. En 2020, la qualité était superbe, estime Luc, avec des degrés marqués. D’ailleurs c’est le meilleur rapport qualité-prix. Quand ils font goûter toute la gamme, le consommateur finit par oublier qu’il s’agit de Haute Côte de Beaune.

 

Bernard Léger Plumet (Chalet Pouilly) presents his wines in Germany

Bernard Léger Plumet (Chalet Pouilly) presente ses vins en Allemagne.

 

 

Domaine du Chalet Pouilly : la majesté du St Véran

En ce domaine œuvre un triumvirat : Bernard Léger-Plumet, ancien médecin, son épouse, biologiste, et leur fille basée à New York. Fondé en 1850, il est situé, comme son nom l’indique, dans le hameau de Pouilly, et compte 9 hectares. Ses appellations village sont Pouilly Fuissé, St Véran et Mâcon Solutré-Pouilly.

 

« Un Pouilly-fuissé », c’est, explique Bernard, « un vin autour de 19€, une appellation qui remonte à 1936, bien avant St Véran (1976). Il a toujours un peu plus de corps, et est élevé de 9 à 19 mois dans des contenants de bois de 400, 500 ou 600 litres ». Ils ont bien parfois tenté la cuve métallique, mais la clientèle préfère toujours le bois qui n’est qu’un complément, et « ne doit pas se sentir ». La notoriété vient de plusieurs facteurs ; un terroir correspondant à une ère géologique, le Solutréen, un Président français -François Mitterand – qui aimait s’y rendre, un export historique vers les Etats-Unis…

 

Eline, la petite-fille américaine, revient pour les vendanges au Chalet Pouilly

Eline, la petite-fille américaine, revient pour les vendanges au Chalet Pouilly.

 

 

Le St Véran, vendu autour de 14€, est chez eux toujours vinifié en cuve métallique. Un grand vin de Bourgogne à petit prix, et d’ailleurs souvent qualifié de « meilleur rapport qualité prix de la Bourgogne ». Ils en vendent jusqu’en Nouvelle-Zélande ! Enfin, le Mâcon-Solutré-Pouilly, élaboré uniquement en cuve lui aussi, est vendu à 11€.

 

« La qualité des vins de toute la région s’est fortement améliorée », indique Bernard qui a beaucoup fait partie de jurys. Les domaines sont passés à la mise en bouteille, se sont équipées en cuves thermorégulées… Mais il est important de maintenir des prix raisonnables, sinon ce sont des vins du Nouveau Monde (Argentin…) qui risquent de leur passer devant.

 

Le célèbre Solutré rock

Le célèbre Solutré rock.

 

 

Domaine Edmond Cornu : le culte du Ladoix

Ce domaine, situé à Ladoix, compte 16 hectares de vigne. Il est familial : Pierre, 60 ans, travaille avec Edith son épouse, Emmanuel leur cousin, et Lucie leur fille, tandis qu’Edmond, est vigneron bourguignon retraité - comprenez, toujours prêt à aider.

 

Pierre Cornu

Pierre Cornu.

 

 

Ladoix, c’est surtout du vin rouge, indique Pierre. Car sur les 100 hectares, il n’y a qu’environ 20 hectares de blanc. Le village est placé juste au sud du début de la Côte de Nuits. D’ailleurs le vignoble est scindé en deux parties, dont une sur le coteau de Corton, et une déjà géologiquement en Côte de Nuits. Les sols, du jurassique moyen, y sont plus vieux, et les vins rappellent la grosse cerise noire charnue. Alors que dans la partie Côte de Beaune, c’est du jurassique supérieur. Le pinot noir y est plus fruits rouges, plus floral.

 

Un ciel d'automne sur les portes du Clos Diconne

Un ciel d'automne sur les portes du Clos Diconne.

 

 

Au domaine, tout est vinifié en parcellaire, il y a 14 cuves de vin rouge. Après assemblages, ils commercialisent 2 cuvées de Ladoix, 1 d’Aloxe-Corton., mais aussi un peu de Chorey-les-Beaune… Aloxe est plus connu que Ladoix qui, il y a 40 ans, était vendu en vrac en Cote de Beaune Village, ou Ladoix Côte de Beaune. Mais c’est grâce à Neal Rosenthal, le célèbre importateur américain « terroiriste », qu’ils se sont mis à faire du « Ladoix ». Et depuis le village est bien spécifié/identifié, c’est devenu leur fierté. Car depuis que - suite à un incendie survenu en 1870 dans sa maison de Chorey les Beaune - leur arrière-arrière-grand-père est venu s’installer au village, la famille y est restée.

 

Lucie Cornu, Edith Cornu, Pierre Cornu and Emmanuel Boireau

Lucie Cornu, Edith Cornu, Pierre Cornu and Emmanuel Boireau.

 

 

Des vins de « buveurs honnêtes »

Le niveau village des vins bourguignons correspond donc à un positionnement de « buveurs honnêtes », très éloigné des snobs « buveurs d’étiquettes », tout en présentant une véritable qualité, reliée aux multiples terroirs de la région. Espérons que la mondialisation, et que l’appétit croissant pour le vin dans certains nouveaux pays consommateurs, permettra de le conserver ainsi, et pour longtemps. Car il cristallise parfaitement l’âme profonde et paysanne de la Bourgogne.