Découvertes

Les crus artisans du Médoc à l’honneur

Dans l’ombre des grands crus classés et des crus bourgeois, les crus artisans du Médoc pourraient sembler souffrir d’un déficit de notoriété. Pourtant, ces domaines souvent anciens et de petite taille situés sur l’ensemble des appellations du Médoc, jouent la carte du terroir et méritent le détour au cœur d’une région viticole réputée dans le monde entier.

Patrice Belly au domaine Château Tour Bel Air

Patrice Belly au domaine Château Tour Bel Air.

 

 

Des vagues de l’océan Atlantique aux portes de Bordeaux, le Médoc s’offre une situation géographique exceptionnelle, un climat océanique parfaitement adapté et un sol unique. Sur la rive gauche de la Garonne, ses 8 appellations, dont deux sous-régionales, Médoc et Haut-Médoc et 6 communales, Saint-Estèphe, Pauillac, Saint-Julien, Moulis-en-Médoc, Listrac-Médoc et Margaux, concentrent 16 000 hectares d’exception. Au sein de ce terroir célèbre par ses cuvées mythiques à la personnalité affirmée, les crus artisans du Médoc imposent aussi leur caractère avec une nouvelle impulsion depuis 35 ans. Le terme cru artisan a pour origine une classification qui, jusqu’au XIXe siècle distinguait au sein de la région selon le statut social du propriétaire du vignoble, les crus bourgeois, les crus paysans et les crus artisans, issus de l’activité parfois secondaire d’artisans locaux, du tonnelier au charron en passant par le maréchal-ferrant. Parfois péjorative et à l’époque peu valorisante, cette distinction a évolué pour aboutir à l’émergence d’un label de qualité. En 1989, sous l’impulsion du Syndicat des Crus Artisans du Médoc, l’appellation cru artisan est réglementée et reconnue par le droit européen. Cinq ans plus tard, un texte de la Commission européenne officialise cette dénomination dans la liste des mentions traditionnelles protégées, et autorise l’inscription de cette mention sur les bouteilles. Chaque postulant des 8 appellations du Médoc doit ainsi répondre à un cahier des charges rigoureux afin d’obtenir pendant cinq ans cette dénomination convoitée. Elle est attribuée à des exploitations autonomes de petite et moyenne taille, dans lesquelles le chef d’exploitation participe à tous les travaux de la vigne et du vin, à la commercialisation et la gestion en étant décisionnaire de chaque acte de son domaine. « La spécificité d'un cru artisan est ce lien fort entre le vin et le vigneron », affirme Patrice Belly, gérant du château Tour Bel Air. « Nous élaborons des vins personnalisés et moins standardisés que ceux de certains collègues qui font un bon vin mais osent peut-être moins prendre des initiatives ». Une belle profession de foi mise en avant par de nombreux domaines.

 

Patrice Belly pendant la saison des vendanges au Château Tour Bel Air

Patrice Belly pendant la saison des vendanges au Château Tour Bel Air.

 

 

Château Tour Bel Air : souplesse et tanins

A six kilomètres de l’estuaire de la Gironde et des appellations mythiques Saint-Estèphe et Pauillac, le château Tour Bel Air s’est imposé comme une référence des crus artisans du Médoc. Ses 7,5 ha de vignes se répartissent sur 5 îlots parcellaires bien regroupés, les parcelles les plus âgées ayant 50 ans, les plus récentes 10 ans. Deux tiers se situent en zone de graves argileuses favorables à la vigne et un tiers sur un sol sableux avec moins de graves, sur une couche d'argile compacte à faible profondeur, aussi très qualitatif. Ingénieur agronome, Patrice Belly orchestre avec talent l’élaboration des vins comme la Cuvée Prestige. Issue d’une sélection des meilleures parcelles du domaine, elle séduit par son élégance et son équilibre entre souplesse et tanins. « Mes cuvées sont marquées par ma personnalité et d'une année à l'autre, elles ont un air de famille », souligne-t-il. « Vu la taille modeste de l'exploitation, je connais parfaitement mes parcelles. Pour chacune, j'identifie les rangs les plus qualitatifs. Toute la mise en valeur, vigne, chai est réalisée par deux salariés et moi-même. L'objectif est d’élaborer des vins assez souples, souvent plus ronds que le standard de l'appellation et surtout sans bois dominant ».

 

Les vendanges au Château Tour Bel Air

Les vendanges au Château Tour Bel Air.

 

 

Château Haut Couloumey : le merlot en majorité

Le temps impose parfois en peu d’années une vraie notoriété. La belle histoire du château Haut Couloumey commence à Lesparre-Médoc en 1998. Jeune diplômé, Pascal Sallenave décide après une expérience dans une propriété du Médoc de fonder son exploitation. Après avoir planté des vignes, il produit ses premiers millésimes en cave coopérative. Puis soucieux de devenir indépendant, il transforme l’ancienne étable de son grand-père en cuvier et commence à réaliser ses cuvées à la propriété en 2003. Sur des sols graveleux sablonneux, le domaine s’étend sur 14 hectares de vignes, dont 4 en fermage, autour de trois cépages, le merlot en majorité (75%), le cabernet sauvignon à 20% et le cabernet franc à 5%. « Nous sommes assez atypiques sur la proportion de merlot, quand la plupart des Médoc sont à majorité constitués de cabernets, explique Pascal Sallenave. Cela aboutit à des vins ronds et faciles à boire rapidement. ». Au-delà de ses clients particuliers fidèles, le domaine a aussi développé ses ventes avec un négociant qui travaille notamment l'export de jolis flacons comme la cuvée Méline, vieillie en cuve et la cuvée Manon élevée en barriques.

 

Travail des vignes pour Pascal Sallenave au Château Haut Couloumey

Travail des vignes pour Pascal Sallenave au Château Haut Couloumey.

 

 

Château Grand Brun : une famille de vigneron

Dans la famille Brun, la passion s’érige comme un art de la transmission, symbolisé par Jean-Pierre Brun et ses deux enfants Sophie et Olivier qui pilotent la production avec talent. Entre Pauillac, Saint Julien et Margaux, le château Grand Brun est classé cru artisan du Médoc depuis 2005. Ses 10,5 hectares en Haut-Médoc sont complétés par 2 hectares en Bordeaux Supérieur. En 1987, après des études en viticulture œnologie, Olivier Brun rejoint son père sur l’exploitation. Un an plus tard, il créé la marque Château Grand Brun et réalise ses premières vinifications dans le chai familial, avant d’être rejoint en 2003, par sa sœur Sophie. « Nous sommes une exploitation familiale depuis six générations », explique-t-elle. « Être cru artisan implique de s’investir en permanence dans sa propriété dans chaque étape de la viticulture à la vinification, en passant par la commercialisation, la vente directe, tout en faisant partager notre passion ». Cet objectif est parfaitement réalisé avec des cuvées à la belle intensité aromatique, avec des notes d’abricot sec et de confiture de fruits rouges et des tanins ronds qui donnent un ensemble subtil et gourmand.

 

Olivier Brun déguste au Château Grand Brun

Olivier Brun déguste au Château Grand Brun.

 

 

Château d'Osmond : l’atout proximité

Au château d'Osmond, les plantations en rangs étroits sont un gage de faible rendement et de qualité, avec 7000 à 11000 pieds par hectare. Créé en 1987, le domaine s'étend sur 8 hectares dans une culture de la vigne respectueuse de l'environnement. Depuis les vendanges 2021, Frédéric Morlier, nouveau propriétaire du château, poursuit avec passion le travail de ses prédécesseurs avec l’objectif d’optimiser encore la qualité des crus artisans du Médoc avec un volume de 50000 bouteilles par an. Sur un sol sablo-graveleux filtrant propice à une culture qualitative de la vigne, l’encépagement se partage entre 50% de merlot, 36% de cabernet sauvignon, 9% de petit verdot et 5% de cabernet franc. « La dénomination de cru artisan renvoie à une propriété de petite taille », analyse Frédéric Morlier. « Elle confère un esprit authentique et familial dont le travail est accessible à un large public. L'identité d'un cru se bâtit sur sa capacité à communiquer avec ses visiteurs et ses clients. Nous montrons nos installations, vignes, cuviers, chai à barriques. Nous expliquons nos choix, faisons déguster nos vins en toute transparence et simplicité ». Au-delà du prix, l'amateur de vin ressent le besoin de percevoir la philosophie du vigneron grâce à la découverte et la dégustation. « Il semble qu'il y ait aujourd'hui un regain d'intérêt pour l'authenticité des crus artisans, souligne » Frédéric Morlier. « La clientèle particulière représente une partie importante de nos ventes avec aussi des marchés exports réguliers au Japon, Etats-Unis, Belgique, Sénégal, Cameroun et Portugal ».

 

Travail au domaine Château d'Osmond

Travail au domaine Château d'Osmond.

 

 

Une incroyable bouteille

Une incroyable bouteille.

 

 

Des crus en phase avec l’époque

Depuis 2017, année du dernier cahier des charges, 36 propriétés sont classées crus artisans du Médoc pour les millésimes 2017 à 2021, le classement étant revu tous les 5 ans. Chacune cultive ses particularités et ses différences dans les techniques d’élaboration, avec une vraie proximité avec ses clients, sans doute plus simple à mettre en pratique que sur d’autres grandes appellations. La personnalité du vigneron représente une valeur ajoutée, avec un vécu, une histoire et un savoir-faire parfaitement relayés auprès des clients. Ces atouts sont renforcés par un prix qui, sans être d’entrée de gamme, reste accessible par rapport à la qualité du produit. En phase avec la régionalité, le terroir et la proximité, la notion de cru artisan s’inscrit dans la tendance des demandes du marché. L'artisan bénéfice d’un capital de sympathie valorisant. Désormais reconnus en France, les crus artisans du Médoc doivent franchir un nouveau cap et accentuer leur développement à l’international. Le défi est de taille dans un secteur où de nombreux domaines ne disposent pas forcément du temps et de la logistique pour démarcher des importateurs. Mais la qualité des vins constitue un formidable atout.