Cépages

Savoie : Jacquère et Altesse en duel pour le haut de l’affiche

Les vins de Savoie bénéficient d’un engouement certain par leurs qualités de fraîcheur et leur légèreté. Plus petit vignoble de France, la région est surtout un terroir de blancs très toniques. Altesse et jacquère sont les deux cépages phares de ce vignoble montagnard, voici leur portrait !

« Les vins de Savoie ont de beaux jours devant eux, le réchauffement climatique profite à nos rouges et à la mondeuse, cépage emblématique. Côté blancs, la jacquère et l’altesse représentent respectivement 350 hectares et 880 ha sur 2000 ha de vignoble. Notre avantage est d’avoir de la diversité avec vingt cépages endémiques et de faibles degrés », relate Franck Berkules, le responsable communication à l’Interprofession des vins de Savoie. Et ce dernier d’ajouter que l’export est passé de 2 à 5% avec un regain du marché anglais, passé devant les belges, historiquement premiers consommateurs de vins de Savoie. « Aujourd’hui, 85% de nos vins partent outre atlantique sur les marchés américains et canadiens puis au Japon et en Asie. La Suède et la Norvège recherchent désormais de petits vignobles diversifiés, la crise et la montée des prix en Bourgogne profite aussi à nos cépages blancs », constate-t-il.

 

Le cépage blanc altesse

 

Des cépages d’altitude à faibles degrés

Le vignoble de Savoie se répartit en une vingtaine d’îlots ou de rubans géographiques dans quatre départements de la région Auvergne Rhône-Alpes que sont la Savoie (80 %), la Haute-Savoie (8 %), l’Isère (8 %), et l’Ain (4 %). En Haute-Savoie, la vigne est présente sur la rive sud du Lac Léman (Ripaille, Crépy, Marignan et Marin), dans la côte d’Arve (Ayze), dans la vallée des Usses (Frangy) et au bord du Rhône (Chautagne). Elle s’est également établie sur le versant occidental de la montagne du Chat (Marestel, Monthoux, Jongieux) et de la Cluse de Chambéry (Monterminod, St Jeoire Prieuré, Chignin, Chignin Bergeron, Apremont et Abymes qui déborde sur l’Isère). Enfin, les dénominations géographiques Montmélian, Arbin, Cruet et St-Jean de la Porte bénéficient d’une exposition sud-est sur la rive droite de la Combe de Savoie. « L’altesse est le cépage cultivé sur l’appellation Roussette de Savoie et ses quatre dénominations, les crus Fangy, Monthoux, Marestel et Monterminod, ce qui n’empêche pas les vignerons de la cultiver sans dénomination », commente Franck Berkules.

 

Franck Berkules, responsable de la communication de l'office de commercialisation des vins de Savoie

 

L’altesse et la jacquère sont des cépages historiques de la Savoie. « Pour moi, l’altesse viendrait plutôt du vignoble autrichien, elle ressemble au furmint, un cépage blanc hongrois qui serait originaire de Croatie. L’altesse est encore cultivée sur l’appellation Seyssel, plus confidentielle, où elle procure avec le cépage molette beaucoup de finesse aux vins », ajoute-t-il. Sur les deux rives du Rhône entre la Haute-Savoie et l’Ain, l’appellation Seyssel produit des vins blancs tranquilles à partir de l’altesse et des vins mousseux associant cette variété à la molette. « Quant à la jacquère, on la trouve partout en Savoie. La jacquère intègre l’encépagement des appellations Vin de Savoie, Bugey et de ses crus locaux : Abymes, Apremont ou Chignin », poursuit-il.

Ce qui différencie ces deux cépages blancs, c’est leur caractère gustatif. « La jacquère est un cépage qui procure beaucoup de minéralité et d’acidité aux vins qui sont assez tendus. Nos blancs ont souffert d’une réputation de cépages à fromages gras de Savoie, juste bons à accompagner les fondues, tartiflettes et raclettes dans les stations de ski mais les temps ont changé », reconnait Franck Berkules.

L’atout de ces deux cépages est de ne pas être très prolixes en terme d’alcool, même avec le réchauffement climatique, la jacquère titre à 11,5°C quand l’altesse est à 13°C maximum. « L’altesse est un cépage plus floral, on peut la comparer au chenin avec un côté confit et ce cépage permet l’élaboration de vins de garde et de gastronomie ».

 

Le cépage blanc jacquère

 

Des jacquères et altesses de garde

Assez remarquable, le domaine de Jean-Claude Masson est sans doute le seul à être spécialisé dans d’anciens millésimes de jacquères. Ce domaine à la renommée internationale dispose de vieux millésimes d’Apremont des années 80 et 90 voire même des seventies. Très spécialisé, ce vigneron commercialise ses vins dans le réseau Café Hôtel Restaurant dont de belles tables étoilées, et une clientèle sélect.

Avec pas moins de douze cuvées d’Apremont toutes vinifiées séparément, ce vigneron expérimente la jacquère sous toutes les coutures au travers de micro-vinifications parcellaires. Ce qui surprend d’emblée les professionnels, c’est que généralement l’altesse se prête davantage à la garde que la jacquère.

Un autre domaine travaille quant à lui l’altesse avec le même élan, il s’agit du domaine Dupasquier, qui la destine soigneusement à la garde et conserve de vieux millésimes. Installés au pied du coteau de Marestel, cinq générations de Dupasquier se sont succédées sur ce domaine qui n’utilise aucun produit de synthèse. David et Véronique Dupasquier sont partisans de longs élevages en foudres. Outre ses deux exceptions savoyardes, la plupart des vignerons travaillent principalement des vins à boire dans les 5 à 6 ans pour l’altesse et dans les 2 à 3 ans pour la jacquère.

 

David et Véronique Dupasquier élèvent les vins d'altesse avec soin.

 

Thomas Veyron travaille avec son père à l’ancienne, au vignoble les vendanges sont manuelles

 

La Savoie, une terre inspirée

Comme partout ailleurs dans le vignoble français, la vague de l’agriculture biologique et du vin nature touche aussi le vignoble savoyard. Ce mouvement concerne surtout la jeune génération. « Thomas Veyron qui travaille encore avec son père est de ces jeunes vignerons qui ont envie d’aller plus loin », indique Franck Berkules. Et sur le domaine, le jeune-homme travaille avec ses parents 13 hectares de vignes sur l’appellation Apremont, berceau de la jacquère. Une autre partie du vignoble se situe près du massif des Bauges à La combe de Savoie. En blanc, le domaine Adrien Veyron cultive l’altesse et la jacquère tandis qu’en rouge, il cultive gamay, pinot noir et mondeuse. « Parmi ces cépages, la mondeuse, l’altesse et la jacquère sont trois cépages historiques. Ce dernier cépage nous le travaillons seul, ce que le cahier des charges autorise en AOP Apremont. Nous travaillons la jacquère seule car nous voulons aller chercher le terroir argilo-calcaire. Désormais, l’Apremont a gagné en qualité et en fraicheur, il n’est plus seulement destiné aux touristes des stations de ski. Nous le commercialisons en restauration au bord des lacs, et la vente directe ne cesse de croître », souligne Thomas Veyron.

C’est pourquoi, le domaine Adrien Veyron entend moderniser son caveau pour développer le tourisme. « Actuellement, nous vendons dans toute la France, ce qui était inimaginable il y a seulement dix ans. Nous tirons notre épingle du jeu grâce à la diversité des cépages savoyards mais aussi grâce à nos quatorze cuvées », se félicite le vigneron.

Quant à l’altesse, Thomas Veyron la travaille en entrée de gamme et d’une autre façon, en cuve ovoïde. Ce dernier contenant s’inspire des dolias romaines antiques. « La cuvée Plénitude a été réalisée à titre expérimental, elle est avant-gardiste. Ce mode d’élevage lui donne de l’amplitude. Pour cette cuvée, nous avons revendiqué l’appellation Roussette de Savoie. Le vrai atout de cet élevage en cuve ovoïde, c’est la micro-oxygénation. Notre ambition est de développer ce style de cuvée singulière. À l’avenir, nous allons développer l’élevage en fût de chêne car jusqu’ici nous ne faisions pas d’élevage », conclut-il.

 

Guillaume et Michel Quenard, père et fils

 

Le vignoble André et Michel Quenard est un domaine familial de 27 hectares créé dans les seventies, mais dont la tradition de la vigne s’est transmise de génération en génération depuis le XVIIe siècle. « Mon arrière grand-père était en polyculture avant que mon grand-père dans les années 50 ne se consacre à la viticulture. À l’époque, c’était un pari risqué car le litre de lait était aussi cher que le litre de vin mais il était passionné », rapporte Guillaume Quenard qui a créé son micro-domaine en 2020 à partir de 2,5 ha planté sur le coteau de Toméry. « Pour revenir à mon grand-père, on l’a pris pour un fou de planter dans une si forte pente sur le terroir le plus au sud de Chignin. Mais le grand-père André s’est aussi entêté à planter la roussanne », développe-t-il. Les Quenard père et fils ont donc un vignoble en pente sur le coteau de Toméry, sur le piémont du massif des Bauges, un terroir d’éboulis très caillouteux. « Mon grand-père a replanté des vignes sur ces coteaux et c’est devenu le cheval de bataille de mon père Michel. Il est le seul à avoir cru au cépage bergeron (roussanne) sur un coteau dédié à la jacquère. Ce qui n’empêche pas de produire à côté de notre Chignin-Bergeron, une jacquère en Chignin-Vieilles Vignes Coteaux de Tomery », poursuit-il. Aujourd’hui, les Quénard père et fils cultivent bergeron et jacquère à parts égales. « Le bergeron comme la jacquère sont des cépages bien adaptés à la région, nous élaborons une quinzaine de cuvées. Nous travaillons tout à la main avec le confort de la modernité dans le chai, des cuves thermorégulées, des fermentations naturelles, sans nuire à la personnalité du vin. Et nous travaillons nos terres sans chimie », précise Guillaume Quenard.

 

Guillaume Quenard a créé sa cave en 2020 avec 2,5 ha de vignes plantées sur la colline de Toméry.

 

Une demande supérieure à l’offre

Du côté des élevages, des efforts sont consentis. Ici, la jacquère est vinifiée en cuve ovoïde, en vin orange et en amphore. « Aujourd’hui, la jacquère a tellement de succès que l’on en manque. On aimerait en avoir davantage parce qu’il y a un réel engouement pour ce vin blanc notamment sur les marchés d’outre atlantique, en Grande Bretagne et dans le nord de l’Europe. Et sur nos 7 ha cultivés en jacquère, un hectare est réservé au crémant », argue-t-il. Pour l’altesse qui ne représente qu’un demi-hectare sur le domaine, Guillaume Quenard aimerait la développer car il y a aussi de la demande. L’appellation Roussette de Savoie est un vin blanc plus riche avec plus de maturité que la jacquère même s’il a un peu plus de degré.

 

Thomas Veyron a produit un vin expérimental vin d'altesse élevé dans des cuves ovoïdes qu'il a appelé plénitude

 

Concernant ces deux cépages, le domaine leur consacre des cuvées tout aussi confidentielles. La cuvée Les Abîmes est un vin de jacquère produit à hauteur de 10 000 cols, Les Cristallins et Chignin Vieilles Vignes sont 2 cuvées de jacquère dont ils produisent 50 000 bouteilles. La cuvée Roussette de Savoie Les Craies est issue d’altesse. À partir de jacquère, Guillaume Quenard élabore aussi un vin orange en amphore avec un élevage sur le fruit et la minéralité dont il produit 1000 cols commercialisés uniquement en vente directe.

Les Quenard père et fils sont présents dans le circuit CHR, chez les cavistes, et pour 15% de la production à l’export. Pour eux, la vente directe et le tourisme ont beaucoup contribué à la reconnaissance des vins de Savoie. Leurs vins sont référencés chez Véronique et Pascal Droux de l’hôtel les Trésoms à Annecy. Ou encore à la table gastronomique Atmosphères à Le Bourget du Lac, une adresse alpine de renom sur le massif des Bauges dont la carte des vins célèbre abondamment la Savoie.