Terroirs

Au royaume des IGP, les Pays d’Oc sont rois

De la Camargue à la Côte Vermeille, les Pays d’Oc IGP occupent 120 000 hectares. Un vaste territoire sur lequel près de 20 000 vignerons œuvrent à produire des vins qui affichent fièrement les couleurs d’un sud ensoleillé à l’échelle nationale et internationale.

 

En Languedoc et en Roussillon et plus largement encore en Occitanie, cela fait 26 siècles que se cultive du raisin. La viticulture n’a jamais cessé et pour cause, elle est même devenue un pilier économique de la région, affichant une production annuelle de plusieurs millions d’hectolitres consommés partout dans le monde. Un essor notamment permis par la construction d’ouvrages remarquables que sont le Canal du Midi, la Via Domitia, les chemins de Saint-Jacques de Compostelle et le port de Sète.

Dès les années 70, cette formidable apogée a pourtant connu un ralentissement fulgurant lié à la baisse de la consommation du vin de table en France et à la concurrence des vins étrangers. Une crise qui conduira les vignerons à l’arrachage de leurs vignes et à la restructuration du vignoble afin de privilégier la qualité à la quantité.

Cette révolution qualitative voit naître en 1987 les “Vins de Pays d’Oc” dont l’innovation réside dans ce qui en constitue l’ADN aujourd’hui : produire des “vins de cépages”, c’est-à-dire des vins qui, comme pléthore de vins concurrents, sont issus d’un seul cépage. Cette spécificité – mentionnée clairement sur le flacon – permet d’offrir une meilleure lisibilité aux consommateurs allochtones et de regagner ainsi des parts de marché à l’export. Pari réussi, 35 ans plus tard le label peut s’enorgueillir d’être le premier exportateur français de vins tranquilles en volume avec une production de vins de cépages qui représente 92% contre 8% pour les vins d’assemblage. En 2009, le syndicat obtient le précieux sésame de l’Indication Géographique Protégée, récompensant sa volonté de révéler la richesse de ses terroirs à travers 58 cépages sélectionnés pour leurs qualités organoleptiques. Ce dynamisme, la crise sanitaire ne semble pas l’avoir compromis. Les vins Pays d’Oc IGP affichent une progression de leur chiffre d’affaires en valeur (+2%) comme en volume (+4,4%).

Mais quelle est aujourd’hui la réelle notoriété de ces vins et comment s’implantent-ils sur les marchés ? Nous sommes allés à la rencontre de quelques producteurs de talent.

Domaine de Longueroche : « La crise, je ne sais pas ce que c’est »

 

A Saint-André-de-Roquelongue, dans les Corbières, cela fait près de 30 ans que Roger Bertrand a créé le Domaine de Longueroche. Un vignoble de 30 hectares qu’il conduit désormais en bio, par conviction, mais aussi « pour ne pas louper des marchés comme celui de l’Allemagne notamment, qui est inaccessible si on ne produit pas de vins bio », nous confie-t-il. Pour ce vigneron, « tout est une question de travail pour s’en sortir ».

 

 

 

Vendanges au Domaine de Longueroche

Vendanges au Domaine de Longueroche

 

 

Il est d’ailleurs allé plus loin que la “seule” conduite en bio de ses parcelles : « Nous essayons aussi de préserver la biodiversité grâce à des moutons qui pâturent dans nos vignes mais aussi en implantant des abris à chauves-souris qui, couplés aux techniques de confusion sexuelle nous permettent de produire des vins sans pesticides ». Tous ces moyens permettent de « valoriser les vins du domaine ». Six cuvées sont ainsi élaborées sous le label Pays d’Oc IGP quand vingt le sont sous l’appellation d’origine contrôlée Corbières. Ici, pas question de réserver le haut de gamme à l’AOC : « Toutes nos parcelles sont vendangées à la main et nos cuvées IGP Chardonnay et Syrah sont élevées en barriques ». Un soin qui a permis au domaine de ne pas souffrir du contexte sanitaire. D’ailleurs, le vigneron se montre très clair à ce sujet : « La crise, je ne sais pas ce que c’est ». Chaque année, 25 000 bouteilles sont produites en IGP dont une partie s’exporte vers la Belgique, la Hollande, la Suisse et, désormais l’Allemagne. Le domaine a par ailleurs développé une boutique en ligne sur son site web, « ce qui nous a vraiment permis de booster les ventes ».

 

 

Wines and Brands : « Des vins cousus main » pour valoriser l’IGP

 

Dans la conquête qualitative des vins Pays d’Oc IGP, cette maison de Négoce tient un rôle majeur. Propriétaires de « plusieurs marques ancrées en Occitanie », Klaus Rune Hansen, son fondateur directeur, et Gérard Guiter, son associé, veillent à « participer au développement de ce magnifique terroir qu’est celui des Pays d’Oc en le valorisant sur le plan international », nous explique le premier. Pour y parvenir, les deux hommes ne manquent ni d’audace ni d’imagination. Ils n’ont pas hésité à créer une gamme « Signature Chef », en collaboration avec des chefs cuisiniers mondialement reconnus que sont Jérôme Nutile, Michel Sarran, Gilles Goujon ou encore Paul Pairet.

 

 

Le Chef Jérôme Nutile entouré de Klaus Rune Hansen et de Gérard Guiter

Le Chef Jérôme Nutile entouré de Klaus Rune Hansen (à gauche) et de Gérard Guiter (à droite)

 

« Avec ces chefs nous avons voulu valoriser les cépages en les accordant à leur personnalité et à leur gastronomie ». Un défi totalement avant-gardiste, relevé en 2019 après avoir « assemblé des vins cousus main, comme on peut le faire pour une recette de cuisine ».

 

 

Le Chef Michel Sarran a sa propre cuvée chez Wines and Brands

Le Chef Michel Sarran a sa propre cuvée chez Wines and Brands

 

 

Ces vins “signature”, exportés en Chine, en Irlande, en Angleterre, au Canada, en République Tchèque, au Bénélux, en Allemagne et dans les pays scandinaves jouissent ainsi d’un rayonnement international et offrent de surcroît une « expérience enrichie au consommateur qui retrouve sur la collerette de la bouteille un QR code permettant d’accéder à la recette élaborée par le chef associé au vin ».

Conscients que la colonne vertébrale des Pays d’Oc IGP réside aussi dans son segment de vins mono-cépage, les associés ont par ailleurs développé une gamme “Rares Terroirs” dans laquelle « chaque flacon est numéroté pour mettre en lumière les différents terroirs et la façon dont s’expriment les cépages sur ces derniers ». La gamme se compose actuellement de sept références mais tend à s’élargir. La maison de négoce, qui a bien compris que la valorisation des vins “Pays d’Oc IGP” passait aussi par la notoriété des ambassadeurs du circuit CHR, offre ainsi la possibilité aux acteurs de la restauration d’aborder cette collection premium de manière ludique, « sous la forme d’une dégustation verticale ».

 

 

Domaine la Boulandière : « Faire de la pédagogie tout en gardant nos spécificités »

 

Si la Bourgogne offre des climats remarquables, les terroirs du Minervois rivalisent sans encombre par la qualité exceptionnelle de leurs sols. Aussi, en 2016, c’est le bourguignon Jean-Benoît Vuittenez qui a pris la relève au Domaine la Boulandière, dans l’Aude.

 

 

Jean-Benoît Vuittenez - Propriétaire du Domaine la Boulandière

Jean-Benoît Vuittenez - Propriétaire du Domaine la Boulandière

 

Ici, ce vigneron passionné a retrouvé l’un des cépages phare de sa région natale : le chardonnay ». Dès le départ nous avons souhaité travailler ce cépage qui exprime ici un profil typique avec de hauts degrés, contrairement au chardonnay cultivé en Bourgogne dont l’expression se fait plus facilement sur la minéralité », nous confie-t-il. Avant toute chose, le puriste a souhaité « revenir au bon sens paysan » et « convertir le domaine en bio pour donner de la légitimité au produit ». Cette démarche globale a permis au vigneron de « travailler un raisin très sain ». Sur le chardonnay, « nous avons immédiatement cherché à avoir « un équilibre sucre-acidité grâce à un démarrage des vendanges une semaine minimum avant tout le monde ». Un pari peut-être audacieux mais payant car l’effet escompté est bien là. Cette vendange anticipée permet par ailleurs de « limiter l’apport en souffre » sur la cuvée Jean et même de l’écarter totalement de la cuvée nature.

 

Plus récemment, le domaine a également créé la cuvée Syrah, dont le succès a « dépassé toutes les espérances » du vigneron, obtenant des commentaires de dégustation dithyrambiques et la remarquable note de 91/100 à l’international Challenge Gilbert & Gaillard.

« Sur un marché où l’on affronte des vins du nouveau monde dans lesquels n’existent pas les questions de terroir, la carte à jouer est celle d’essayer de faire un produit bon qui répond aux demandes de la clientèle. Il faut faire de la pédagogie tout en gardant nos spécificités ». Si le domaine ne produit que peu de volumes dont une partie est distribuée via le « réseau amical toujours très présent à Beaune », les cuvées se dégustent aussi à Boston, au Portugal et en Angleterre.

 

 

Mas du Novi : fer de lance des “Pays d’Oc IGP”

 

Sur l’un des plus beaux terroirs du Languedoc, le Mas du Novi abrite des vignes qui prospèrent ici depuis le XIe siècle. Ancienne dépendance de la remarquable Abbaye de Valmagne, voici un lieu d’une rare beauté que dirige Thierry Thomas depuis près de 30 ans, produisant des vins dont la notoriété dépasse largement les frontières de l’hexagone.

 

 

Thierry THOMAS, propriétaire du Mas du Novi

Thierry THOMAS, propriétaire du Mas du Novi

 

Dans la famille des “Pays d’Oc IGP” notamment, le vigneron est mondialement reconnu comme l’un des maîtres du chardonnay, qu’il vinifie en mono-cépage pour ses cuvées Lou Blanc et Chardonnay Fût. Une gamme dernièrement complétée par le V de Novi, un « 100% viognier élevé pour moitié dans des demi-muids de chêne neuf et pour moitié dans des œufs de grès ». L’originalité du flacon, au-delà de cet élevage technique, réside dans son « étiquette double face qui symbolise la fusion entre l’animal et le végétal et honore ainsi l’agroforesterie » développée sur le vignoble.

 

 

Dans cet écrin de verdure, entouré de bois et de garrigue, 42 hectares de vignes sont ainsi cultivés pour créer des vins d’IGP mais aussi des vins d’AOC Languedoc et Grès de Montpellier. De quoi satisfaire toutes les attentes des consommateurs, y compris celle venues du Canada, de Hong-Kong, de Singapour, de la Suisse, de l’Allemagne, de l’Irlande, de la Belgique, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie, du Danemark et de la Suède vers lesquels le domaine exporte notamment ses vins de cépage.

 

Pays d’Oc : une marque solide et pérenne

 

Longtemps accusé de ne pas savoir concurrencer les vins du Nouveau Monde, le secteur viticole français peut pourtant compter sur des IGP régionales comme celle des “Pays d’Oc” pour se faire une place à la table des consommateurs. Certes, une restructuration du vignoble vers une production plus qualitative s’est avérée nécessaire. Une révolution menée d’une main de maître par les “Pays d’Oc IGP” qui se démarquent depuis trente ans par leur capacité d’innover, que ce soit sur un plan environnemental comme économique. Premier exportateur français de vins tranquilles en volume, l’IGP semble encaisser les crises et parvient même à les anticiper. En se remettant perpétuellement en question de manière à élaborer des vins “au goût du jour”, il y a fort à parier que les progressions enregistrées ces dernières années devraient se poursuivre, sur le marché intérieur comme à l’international.