Terroirs

Le Roussillon veut conquérir le grand export

Les Pyrénées-Orientales se placent au quinzième rang des régions françaises productrices. Avec un savoir-faire et une diversité rare, les vins secs et doux du Roussillon ont l'ambition de conquérir le grand export en valeur, sans négliger les tendances.

Avec un potentiel 25 000 hectares dont 18 932 de vignes en production, 24 cépages dominants, quatre-vingts pour cent du vignoble du Roussillon se situe en coteaux, entre mer et montagnes. « C’est sur ces terres ensoleillées qu’Arnaud de Villeneuve a inventé le mutage des vins au XIIIe siècle. La diversité des terroirs attire des investisseurs comme Michel Chapoutier, la famille Grier d’Afrique du Sud, le winemaker de la Napa Valley David Swift Phinney, à Maury, ce qui peut nous ouvrir des marchés », expose Éric Aracil, responsable export du CIVR, l’interprofession des vins du Roussillon.

 

Un vignoble ancien et conquérant

 

« Notre renommée, c’est notre ancienneté. Dans la famille Jonquères d’Oriola, je représente la 27e génération », relève William, propriétaire du domaine à Corneilla del Vercol, près de Perpignan. Il est fier d’avoir une urban winery au village dont il possède l’éminent château éponyme.

Très connue du milieu équestre et des escrimeurs, la famille Jonquères d’Oriola a décroché moult médailles dont l’or olympique. Pour William, dans le milieu viticole il faut rester discret et faire ses preuves. « Après avoir travaillé chez France Boissons, un incontournable de la distribution hors domicile, fait un tour du monde des vignobles, j’ai repris les rênes du domaine en 2010. Je l’ai porté de 58 à 95 ha sur 6 AOP, au sud de Perpignan, à Collioure et dans le Roussillon », explique-t-il.

 

William Jonquères d'Oriola, propriétaire et vigneron du domaine éponyme

 

À ses côtés, son oenologue de père a été précurseur en travaillant sur la gestion du froid à la cave. William a développé les gammes du domaine, positionnant celles-ci sur des marchés stratégiques. « Il a fallu  moderniser les outils de production. Les travaux engagés à la cave à hauteur de 1M€ seront achevés d’ici 2023. Mon père avait développé le bag-in-box. Moi je valorise la production en bouteilles dans le réseau CHR et traditionnel, avec 700 000 cols produits annuellement, dont 60% partent à l’export. »

Pour cela, il a fallu construire des profils de vins différents, développer des marques fortes. William a priorisé les vins secs, ne produisant plus que 100 hl de muscat de Rivesaltes tuilé, les bonnes années. Sa distribution est orientée à 80% vers le réseau CHR, 20% chez les cavistes, il vend 6 vins à la grande distribution locale. « Avec la marque Gris-Gris créée en 2011, le tiers de la production de rosés, j’ai développé des marchés au Bénélux, en Allemagne et en France dans les brasseries et sur les plages privées. »

 

La Russie, un marché-clé pour le négoce

 

À Perpignan, Les Vignerons Catalans figurent parmi les structures historiques. Créé en 1964, ce négoce à capitaux coopératifs regroupe 8 grosses caves coopératives. Les Vignerons Catalans sont à l’origine de la commercialisation des premiers vins conditionnés du Roussillon en grande distribution française. Leur directeur général, Stéphane Zanella, annonce un chiffre d’affaires de 30M€ dont 11M€ à l’export, la plus importante structure du département pour les vins secs.

Avec sa filiale locale de négoce en vins et spiritueux La Martiniquaise, l’activité est scindée en trois axes. « Sur le marché français, Nous avons une vocation historique en grande distribution. Depuis peu, nous développons un circuit CHR et traditionnel, avec la baisse de production du Roussillon, nous avons débuté la valorisation dans les réseaux grossistes, cavistes et grands comptes », précise Stéphane Zanella.

 

Stéphane Zanella, directeur général de Vignerons Catalans

 

Le second axe est l’export car depuis un an et demi, Vignerons Catalans renforce sa présence dans 40 pays, au Bénélux, en Allemagne, au Royaume-Unis et en Chine. « Après l’Europe, nous travaillons de plus en plus le grand export en Russie et dans les pays de l’Est où nous tablons sur 2 millions de cols cette année. » Sur ce marché, Les Vignerons Catalans ont des volumes significatifs dans les trois couleurs en grande distribution russe, les grands comptes et des structures européennes. Un marché investi il y a dix ans avec un représentant russe permanent sur place, stratégie indispensable pour travailler avec 20 000 magasins dans tout le pays.

Un troisième axe de développement est le Royaume-Uni qui repart depuis deux ans. « Dans ce pays, il y a des cycles. Le profil de nos vins a évolué, nous avons une place avec nos IGP côtes-catalanes et côtes-vermeille, au goût des Anglais », estime ce dirigeant. Ces vins de pays ont un rapport qualité-prix pour entrer en compétition avec les vins espagnols, italiens et du Nouveau Monde. « Reste à conquérir l’Amérique latine, ce marché recherche de la complémentarité et résonne pour nous en centaines de milliers de cols », révèle Stéphane Zanella.

 

L’Asie et les États-Unis, des marchés convoités

 

Les États-Unis et la Chine sont les principaux moteurs de croissance des boissons alcoolisées, ils représentent les deux tiers de la consommation mondiale. Le marché US est mature, friand d’appellations du Languedoc-Roussillon, mais tenu par des opérateurs tels Michel Chapoutier, Gérard Bertrand ou Lafage. « Aux US, nous avons démarré un marché de vin doux il y a deux ans, nous commercialisons sur le marché traditionnel l’intégralité de notre gamme Tradition Muscat de Rivesaltes (Grenat, Ambré, Tuilé) au packaging vintage. Nous avons lancé un rosé sec branché dans les Fresh Markets de Floride », argumente Gaëtan Pierre, directeur export à la cave Arnaud de Villeneuve de Rivesaltes.

À New York, le muscat de Rivesaltes tuilé de William Jonquères d’Oriola lui a ouvert un micro-marché en attendant de faire connaître ses vins secs du marché américain. « Si nous existons encore, c’est que nos vins doux sont un marqueur, nous en commercialisons sur le marché nord-américain et au Benelux », assure Guillaume Arbus, responsable des ventes à la cave Arnaud de Villeneuve.

 

Château de Corneilla

 

Le Japon et la Chine sont des marchés demandeurs de vieux millésimes et la cave Arnaud de Villeneuve, un faiseur historique. « À Singapour, je travaille un Rivesaltes ambré 1965, date d’indépendance de la république de Singapour », précise Gaëtan Pierre. Aujourd’hui, la cave oriente le marché asiatique sur les côtes du Roussillon et côtes du Roussillon Village. « Grâce à notre importateur à Shanghai, nous valorisons toute la gamme sur le marché chinois qui absorbe 18 000 cols des 40 000 produits de notre cuvée rouge RD 900 en côtes du Roussillon-Village. Au Japon, nous distribuons nos vins de cépages viognier et chardonnay avec l’enseigne Seijo Ishii », résume Gaëtan Pierre.

Une récente étude IWSR, expert mondial des modes de consommation de vin et spiritueux, prévoit une croissance de 43% en 2021 des Premix, grâce aux États-Unis qui est le plus grand marché Ready To Drink (RTD) mondial. « Aux Vignerons Catalans, la stratégie de développement va porter sur les vins effervescents en cannette. Un format très présent aux US où il s’est vendu 500 millions de cannettes en 2020. Nous allons attaquer les marchés du Soft, du Premix avec des blancs et rosés édulcorés », argumente Stéphane Zanella.

Un parti prix avisé quand on sait que les boissons gazeuses sont en passe de devenir la deuxième catégorie de boissons alcoolisées aux US. La croissance des cocktails en canettes a été stimulée lors du confinement, ce qui conforte Les Vignerons Catalans pour aborder ce marché test.

 

Du vin de garde mythique à la mixologie

 

Sur le muscat de Rivesaltes, les opérateurs ont du volume et la mixologie pourrait ouvrir de nouveaux marchés. « L’interprofession du Roussillon travaille à ce sujet le Muscat de Rivesaltes et le Rivesaltes ambré. Nous avons lancé deux cocktails, un Muscat Lemon avec 50% de muscat, de limonade, un trait de citron à 7-8° qui procure un vrai plaisir aromatique. Et un Muscat Ginger dans l’esprit du Moscow Mule avec un trait de citron vert », décrit Éric Aracil.

Quant aux vieux millésimes, ils permettent de doper le statut des vins doux du Roussillon en grands vins de garde mythiques. Cette différenciation, la cave Arnaud de Villeneuve l’a bien comprise. À Rivesaltes, la coopérative destine certains millésimes à des collectionneurs comme ce 1936. « Ce Rivesaltes ambré de 85 ans intéresse des cavistes en recherche de pépites à un rapport qualité-prix compétitif », argumente Guillaume Arbus.

 

Le colossal chai d'Arnaud de Villeneuve à Rivesaltes

 

Par ailleurs, la cave a travaillé sa gamme Tradition d’AOP Muscat de Rivesaltes sur les codes des années 30, pour aborder brasseries branchées et bars à cocktails. À Rivesaltes, la cave Arnaud de Villeneuve consacre 15% de la production aux vins doux. Aux domaines Cazes, « Nous avons une collection de 74 millésimes, les vins doux naturels représentent 20% de la production, nous ne lâcherons jamais ce marché », conforte Lionel Lavail, directeur général.

Avec les rendements les plus bas de France, les vins du Roussillon sont exportés dans 85 pays. « Il y a une diversité de typologies du Roussillon avec une des plus larges gammes de l’offre mondiale. Le muscat de Rivesaltes a une carte à jouer dans la mixologie y compris à l’export », conclut Eric Aracil.

 

La carte du Bio et de l’oenotourisme

 

La Maison Cazes adossée au groupe international Advini, est perçue à juste titre parmi les locomotives du Roussillon, pionnière de l’oenotourisme et de la biodynamie en France. Ses vins secs et doux sont présents sur les tables étoilées du monde. Dotés de 330 ha en agriculture biologique, biodynamie et HVE 3, les domaines Cazes possèdent les Clos de Paulilles près de Collioure, le domaine du Chêne dans les Aspres et le mas Latour Lavail sur les terrasses de la Têt.

Ce chef de file du bio à la pointe de l’innovation cumule les labels Écocert et Biodivin, et des certifications pour la Suisse, les États-Unis, le Canada, le Japon, le Brésil, la Corée du Sud ou la chine.

 

 

Lionel Lavail, directeur général de Maison Cazes à Rivesaltes

 

« Nous sommes leader du Roussillon en restauration et travel retail. Nous allons lancer en grande distribution la marque Cap au Sud, une gamme en bio et biodynamie de trois vins secs de pays d’Oc et Grand Cap, un Côtes du Roussillon-Village. Des vins solaires, corpulents, catalans, avec une application dédiée au consommateur inspirée du calendrier lunaire », déclare Lionel Lavail, directeur général des domaines Cazes.

La maison se veut vitrine de l’art de vivre catalan avec sa cantine bio La Table d’Aimé à Rivesaltes, ses chambres d’hôtes au mas Latour Lavail. « Au domaine du Grand Chêne, propriété de 35 ha au pied du Canigou, nous convertissons le vignoble en biodynamie et projetons d’y faire des vins natures, sur l’AOP Côtes du Roussillon-Village Les Aspres », défend Lionel Lavail. Une aubaine pour la Chine, en recherche sur ce segment.