Terroirs

La Bourgogne à petits prix

Montrachet, Romanée Conti, Chambertin… ces grands crus bourguignons régulièrement classés parmi les plus inaccessibles, font rêver les amateurs du monde entier depuis la nuit des temps. Pourtant, la région est loin de se limiter aux flacons prestigieux. Focus sur le versant plus méconnu des vins locaux : les Bourgognes « génériques », qui ont aussi une histoire de terroir à raconter.

En Bourgogne les plus grands vins portent avant tout le nom de leur parcelle (Montrachet, Chambertin…) - localement appelée le « climat » - ou de leur commune d’implantation (Gevrey-Chambertin, Chablis…).

Les autres n’ont comme identité que le nom de la région, Bourgogne, bien centré sur l’étiquette, pour une meilleure visibilité. Sur environ la moitié de ces bouteilles, la mention de la région est suivie d’une dénomination géographique complémentaire : Chitry, Montrecul, Tonnerre... Ces dénominations spécifiques désignent alors, soit également une commune, soit une zone un peu plus grande qu’une commune avec une typicité (sol, micro-climat, pratiques) moins homogène. Ce niveau d’appellation est qualifié de régional ou de générique.

Soulignons immédiatement que deux phénomènes récents concourent à fortement élever la qualité, typicité et notoriété de ces vins. D’une part, le déficit en volume face à une demande mondialisée croissante pousse les prix à la hausse, et donne ainsi les moyens aux vignerons de travailler de mieux en mieux. Et d’autre part la partie nord de la Bourgogne, qui manquait parfois un peu de soleil, a nettement vu la qualité progresser, du fait du réchauffement climatique.

 

Définition du terroir

La Bourgogne viticole s’étend du Nord au Sud sur 250 km. La vigne pousse à une altitude allant de 250 à 400 m. Au nord, ce sont de larges vallées s’enfonçant en coin dans les plateaux calcaires du Bassin parisien. Au centre, c’est une mince bande située en limite entre une plaine et le plateau nommé « la Côte ». Au sud, dans la région de Mâcon, ce sont des chainons, reliefs parallèles selon un axe nord-sud. Les vins d’appellation régionale « Bourgogne » proviennent essentiellement de la partie nord et de la Côte.

Le climat est légèrement océanique, plutôt frais mais se réchauffant, nous l’avons dit, du fait du changement climatique. Les hivers sont froids, et les étés assez chauds. La température moyenne est de 11 °C. Les pluies sont plutôt bien réparties tout au long de l’année.

Les vins rouges représentent la majorité de l’appellation régionale. L’encépagement est quasiment exclusivement composé de pinot noir, cépage autochtone, dans les trois départements du nord. Dans le sud, on peut trouver du gamay. On peut aussi rencontrer un petit peu de cépage noir César, en faible quantité dans les vins issus de l’Yonne.

 

Vignoble d'Hervé Kerlann à Cuillery

 

Pour les vins blancs, le cépage ultra dominant est le chardonnay qui est aussi un cépage natif de la région. On lui ajoute parfois un peu de pinot blanc, mais celui-ci a tendance à disparaitre. Enfin le cépage aligoté permet de réaliser des vins mono cépages, qui sont alors identifiés comme « Bourgogne aligoté ».

Pinot noir et chardonnay étant très réactifs aux variations du milieu naturel, les vins de l’Yonne – au nord – donnent une forte acidité, tandis que ceux de la partie méridionale sont plus souples.

Les vins sont secs, avec moins de 2 g/l de sucre résiduel pour les rouges. L’irrigation de la vigne et l’utilisation de copeaux de bois sont interdits. Les rendements théoriques ne peuvent dépasser une soixantaine d’hectolitres par hectare. Ainsi, les garants de la qualité sont en place. L’appellation est juridiquement protégée depuis 1937. Selon les années, ce sont autour de 45% des volumes qui partent à l’étranger.

 

 

Domaine Persenot Gérard : Aligoté en pointe

Ce domaine situé à Saint-Bris le vineux compte 23 hectares. C’est Chantal, 65 ans, qui le présente,  même si son mari et elle se chargent maintenant uniquement de la commercialisation, tandis que le gendre produit les vins. Lui est la quatrième génération d’exploitants. La commune est connue comme étant la seule de Bourgogne à produire du Sauvignon blanc – nous ne sommes pas si loin du Sancerrois.  Mais au domaine, c’est l’Aligoté qui prend le dessus avec 9 hectares cultivés. Ce cépage pousse sur des sols argilo calcaires, avec une teneur en calcaire moindre que pour le Chardonnay (Les Persenot Gérard produisent aussi du Chablis et du Petit Chablis). Si historiquement l’Aligoté se dégustait avec un peu de crème de cassis, plus de suivi et une évolution qualitative en font un bon accompagnement – sans la crème cette fois - en apéritif avec des charcuteries ou bien avec un premier plat. Il coûte 7€ la bouteille. Bouteille, qui reste fermée traditionnellement en liège, même si le vin ne doit guère se garder plus de 2 à 3 années.

La famille produit aussi sur 6 hectares du Bourgogne Côte d’Auxerre rouge, dont une partie est élevée en fût. Pas question de copeaux, ni même de douelles. Cette légère note boisée plait aux consommateurs. De même ils produisent une version blanche, soit élevée en cuve, soit avec un peu de fût. Les prix s’étagent de 9 à 11€. Bonne nouvelle : Le vin de Bourgogne est donc accessible ! Mauvaise nouvelle : La production est faible, la famille « ne recherche pas de nouveaux clients ».

 

 

Domaine de Vauroux : Si le petit vin de la Maison est bon…

Olivier Tricon, le propriétaire de la ferme de Vauroux, aura bientôt 40 ans de métier. Situé à Chablis, il produit bien sur du vin, mais aussi du blé, des petits pois, des lentilles… Du coup il fabrique son propre compost, qu’il utilise ensuite pour amender ses vignes.

L’homme cultive aussi du chardonnay sur une dizaine d’hectares pour produire un « Bourgogne chardonnay ». Les rendements s de 40 à 50 hl/hectare sont bien en deçà du maximum légal. Cela se vend bien, et c’est porteur à l’export : Japon, Royaume-Uni, Pays Nordiques. Tous ne connaissent pas forcément le détail des terroirs bourguignons, explique Olivier, aussi pouvoir utiliser ces deux mots est utile. Manquant de raisins, il en achète aussi pour une activité de négoce, mais cherche une typicité style « Côte d’Or ». La région donne une minéralité et une acidité qu’on ne retrouve pas ailleurs en Bourgogne, indique-t-il. C’est difficile, surtout en 2021 où les volumes produits ont été très faibles du fait des gels printaniers. Olivier veut proposer une qualité, sans que le client ne paye le prix d’un chablis.

Seules des cuves inox sont utilisées, avec une fermentation lente à température basse. Il ne faut pas non plus se presser pour la mise en bouteille. Si les consommateurs boivent de plus en plus des vins jeunes, lui propose un entre deux. Le Week end précédant Olivier a dégusté des vins de 2017 et 2018, et c’est ce qu’il aime.

 

Olivier Tricon du domaine de Vaucroux

 

Face au changement climatique, le vigneron s’adapte, en vendangeant notamment plus tôt. Globalement l’état sanitaire des raisins s’améliore. Le désherbage chimique a disparu au profit d’un travail mécanique, et les quantités de souffre utilisées ont beaucoup baissé. Il met d’ailleurs en bouteille sous azote, ce qui aide à baisser la quantité du conservateur. Les vins tournent autour de 12%. Il ne faut pas plus, car sinon l’acidité baisserait. Mais Olivier n’aime pas les vins à 13,5% ; il faut que ça désaltère, sans chercher le fruit trop mur et concentré. Restons aérien, pour l’apéritif. Ne dit-on pas que « si le petit vin d’une Maison est bon, le reste l’est aussi » ?

 

 

Domaine Boussard : des vins à leur goût

Olivier et Isabelle sont à la tête de ce domaine crée ex nihilo. Ils ont en effet démarré en plantant leurs vignes. Les parcelles sont dans la région du chablisien, tandis que le chai de vinification et la cave sont plus au sud, à Nitry. Ils exploitent aujourd’hui 23 hectares, et chaque année demandent quelques droits de plantation supplémentaires.

Comme dans l’ensemble de la région, leurs vins sont majoritairement blancs. Ils produisent plusieurs cuvées de « Bourgogne chardonnay », vinifiées en cuves métalliques. En comparaison à l’aveugle avec les vins de la Région, Isabelle explique que si le Petit Chablis se repère par sa très forte vivacité, les nuances entre un Chablis village ou leur Bourgogne chardonnay deviennent subtiles. Il faut être aguerri pour faire la différence !

Mais parmi leurs parcelles, 8 à 9 hectares sont plantées de pinot noir, ce qui permet de faire un vin rouge, et un peu de rosé. Les plants sont maintenant suffisamment âgés pour donner des vins de qualité. Isabelle recommande de les servir dans de larges verres, et assez frais, autour de 13 à 14°C car ils se réchauffent très vite. De plus, l’utilisation d’une carafe pour les aérer peut être bienvenue, d’autant plus que les vins, comme tous ceux du domaine, sont très peu sulfités.

Le rosé est assez coloré et c’est un rosé de saignée, obtenu généralement après une dizaine d’heures de macération des peaux de raisins. On est ici loin des pâles rosés provençaux. Les clients en demandent et il n’y a plus de stock. Pourtant la production de rosés chute régulièrement en Bourgogne jusqu’à devenir quasi confidentielle.

 

Isabelle and Olivier Boussard et leur fille Margot

 

Enfin le couple commercialise également un Crémant de Bourgogne rosé, réalisé par une prestataire à partir de leurs vins de pinot noir. Isabelle préfère en effet la version rosé, moins acide qu’un Crémant blanc ; et tant pis s’il faut pour cela utiliser du pinot noir qui coûte plus cher que le chardonnay. A l’unité on peut ainsi croquer dans des arômes de framboise d’une bouteille bourguignonne en méthode traditionnelle, pour 12€.

 

 

Baudoin Millet : Maintenir le Bourgogne accessible

L’exploitation de Baudoin est située à Tonnerre, c’est-à-dire à quelques kilomètres au nord-est de Chablis. Le Vigneron produit donc du Chablis, mais il vend aussi des prestations d’entretien de la vigne, est céréalier, et a une activité… de production d’électricité avec des panneaux solaires. Bref, c’est un entrepreneur !

Il a donc également une société de négoce en vins, et produit un Bourgogne chardonnay. Pour cela il achète des raisins autour de Tonnerre et d’Auxerre, c’est à dire essentiellement dans le nord de la Bourgogne. Dans le verre la différence est ténue avec un petit Chablis. Il faut dire que parfois les parcelles sont limitrophes. Le vin est vendu une douzaine d’euros, alors que le Petit Chablis en coûte douze et demi ! Mais quelquefois il source quelques raisins à l’autre extrémité de la Bourgogne, dans la région de Mâcon.

 

Baudoin Millet vigneron de chablis

 

En 2021, la production ayant été si faible, les prix de la matière première ont doublé par rapport aux années précédentes ! Est-ce alors la fin du Bourgogne à petit prix ? Le prix pour les consommateurs va-t-il doubler ? Non, rassure le vigneron, toute la chaine : producteur et distributeur, va réduire ses marges. Toutefois, il faut s’attendre à une augmentation.

Si Baudoin est amateur de vin rouge, il n’en produit pas pour autant. Il s’est posé la question, mais les rouges du Tonnerrois, malgré le réchauffement climatique et malgré un éventuel élevage en barrique, restent trop légers pour lui.

Alors il produit un crémant, assemblage de chardonnay de la région et de pinot noir. Un ami réalise la seconde fermentation, mais c’est lui qui détermine l’assemblage – généralement 2/3 de pinot noir et 1/3 de chardonnay - et le dosage. Celui-ci affiche « brut » même s’il ne contient en ce moment que 4 g/l. Son goût est en effet un crémant tendu, pour l’apéritif !

 

Maison Kerlann : le vin plaisir

Hervé Kerlann est un original. Si ça famille a travaillé dans le négoce de vin, l’homme aux racines bretonnes, bien que né au Maroc, ayant vécu à Bordeaux, au Canada… a pratiqué de nombreux métiers. En 1998 il a repris ce qui subsistait du Château de Laborde, une construction de 1678 à Meursanges. En 2000, il a commencé à planter.

Il a 3 hectares de vignes, dont 2 qu’il peut déclarer en Bourgogne, le reste étant en IGP Sainte-Marie La Blanche, ou bien en vin de France. Les terres, situées au sud-est de Beaune, n’entrent en effet pas toutes dans l’aire d’appellation viticole « Bourgogne », même si elles sont dans la région Bourgogne…

 

Hervé Kerlann, vigneron passioné

 

Il concocte ainsi un vin de pinot noir, 10€ la bouteille, dont il indique fièrement qu’il est vendu à la Grande Epicerie de Paris, ainsi qu’exporté vers le Japon. Dans une vie antérieure, l’homme a en effet été exportateur de vins vers l’Asie, et a de fait conservé une partie de cette activité.

De même il réalise un bourgogne aligoté avec une macération pelliculaire de 4 jours en fûts d’acacia. Si la période est trop courte pour parler de « vin orange », c’est expérimental. « Je fais des essais », explique Hervé. J’obtiens ainsi une texture différente.

Et puis il y a aussi un vin blanc fait à partir de pinot noir (IGP Sainte-Marie La blanche). Un blanc de noirs en Bourgogne ? Et pourquoi pas, répond-il, moi j’aime les champagnes blanc de noirs, alors…

 

Cave de Mazenay : montée en gamme

Jean-Pascal Pascaud est le Directeur technique du domaine, qui appartient au propriétaire du Château de Couches. Il gère là une exploitation de 20 hectares, en appellation « Bourgogne Côtes du Couchois ». Sur l’ensemble, seuls deux sont plantés en chardonnay. Ici on fait du vin rouge. De plus, il achète des raisins pour, approximativement, doubler la production.

Une partie des vins de pinot noir part vers le négoce, et une autre est mise en bouteille et commercialisée directement, notamment dans une boutique qui se trouve sur place. Les prix vont de 7-8€ à 12,50€. « 12,50€, cela paraissait cher, mais avec l’augmentation de la demande et la hausse des prix de toute la Bourgogne, ça n’est plus tellement le cas », remarque Jean-Pascal.

Dans le passé la région était plus froide que la « Côte » (NDLR : on l’a dit, on appelle ainsi la partie la plus prestigieuse de la Bourgogne qui regroupe la Côte de Nuits et la Côte de Beaune). Mais avec les dernières années chaudes : 2018, 2019 et 2020, la qualité progresse. Y a-t-il une volonté de passer de la dénomination géographique complémentaire à l’appellation village ? Certainement, explique le Directeur Technique. D’ailleurs une dizaine d’exploitations aux alentours travaille à la cartographie. Profitons-en donc, tant que ça reste abordable !

 

Les Orfèvres du vin :

A l’autre extrémité de la Bourgogne, dans le Mâconnais, cette petit cave coopérative fédère aujourd’hui 45 adhérents qui exploitent 85 hectares de vignes. Amélie Thomas fait les vinifications et Marylin Vandaele assure la commercialisation.

Ici on fait par exemple des Coteaux Bourguignons de Gamay vendu à 5,80€. Avec une vinification à la beaujolaise, le vin est hyper sur le fruit, un peu poivré. Les particuliers apprécient et viennent le chercher au magasin. Ils peuvent le prendre en bouteille ou bien en cubitainer. Ne soyons pas snob !

Le Bourgogne Pinot noir vendu 8,10€ fonctionne également bien. Il présente des notes légères de réglisse et poivre blanc. On a ainsi accès à un vin estampillé « Bourgogne »… sans payer trop cher.

Les deux complices font aussi du blanc, bien sûr. L’aligoté ne représente qu’une toute petite partie, mais très marqué par les agrumes et intensément aromatique, il a remisé au placard la liqueur de cassis d’autrefois. Le chardonnay coute un peu plus cher, car il démarre à 8,90€, mais reste abordable.

 

Jean-Christophe Pascaud et Ludivine Griveau, manager du vignoble des Hospices de Beaune

 

En 2021, le gel a ici diminué par deux les volumes produits. Certains vignerons aux alentours ont prévu de compenser le manque, par des augmentations de +20%. Comme le nord de la Bourgogne prévoit d’augmenter fortement ses prix, cela « donne de l’air » à la Bourgogne sud. Marylin précise d’ailleurs qu’elle a déjà remarqué une nouvelle clientèle. Pour autant les Orfèvres resteront raisonnables, les augmentations resteront cantonnées entre 8 et 12%.

 

Ainsi donc la Bourgogne unit toujours les extrêmes : prestige et luxe, comme simplicité et plaisir. Et si cette seconde catégorie a tendance à se réduire fortement du fait de la montée en gamme de la consommation, on ne peut que se réjouir qu’elle existe toujours, au nord comme au sud. D’une part pour que tous puissent en profiter, mais aussi pour conserver la tradition paysanne millénaire d’un vin aliment, convivial et sans snobisme.